Loin des projecteurs hollywoodiens, c’est dans la lumière douce d’un café de Brooklyn qu’Airyn De Niro a choisi de se raconter. Pas pour faire le buzz, mais pour être entendue, vraiment entendue.
« Il y a une différence entre être visible et être vue »
Dans un coin tranquille d’un café de Williamsburg (Brooklyn), Airyn De Niro, 29 ans, se raconte, avec douceur, franchise et un éclat dans le regard. La fille de Robert De Niro et de Toukie Smith a choisi de prendre la parole publiquement pour la première fois sur sa transition de genre, avec pour moteur une volonté simple mais puissante : reprendre le contrôle de son image et se raconter selon ses propres termes.
Dans une interview intime accordée au média Them, Airyn se livre sur son parcours de femme trans noire dans une société où les regards pèsent lourd, en particulier lorsqu’on porte un nom aussi emblématique que le sien. Plus encore que la célébrité ou les tabloïds, c’est de reconnaissance intime et de dignité qu’il est ici question. « Il y a une différence entre être visible et être vue », résume-t-elle.
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Un chemin d’affirmation et de transformation
Airyn a toujours ressenti ce besoin de se rapprocher de sa vérité, mais elle a longtemps été empêchée de l’exprimer pleinement. Elle a connu moqueries, exclusions et solitude pendant l’enfance et l’adolescence. Être une personne queer, noire, grosse, dans une société dominée par des normes blanches, minces et cisgenres, l’a placée en marge bien avant qu’elle n’ose affirmer sa transidentité.
C’est en novembre dernier qu’elle commence un traitement hormonal, qu’elle appelle affectueusement sa « seconde puberté ». Cette décision, profondément réfléchie, est aussi inspirée par les figures trans noires qui l’ont précédée et guidée, de Laverne Cox à Michaela Jaé Rodriguez. Mais aussi, et peut-être surtout, par les femmes noires qui l’entourent : les esthéticiennes, les coiffeuses, sa propre mère.
Sa première visite dans un salon de coiffure afro à New York, où elle s’est fait poser des locs roses après avoir vu Halle Bailey dans « La Petite Sirène », fut un moment charnière. S’asseoir dans ce fauteuil, écouter les rires, sentir la chaleur du sèche-cheveux : pour Airyn, c’était bien plus qu’un soin esthétique. C’était un rite de passage, une façon d’habiter enfin son corps avec fierté.
Reprendre la parole face aux médias
Quelques semaines plus tard, la presse people s’est emparée de quelques clichés volés lors d’une visite à son père, et le traitement a été aussi sensationnaliste que déshumanisant. Le Daily Mail, entre autres, a publié un article sur sa « transformation choc », sans même chercher à recueillir son témoignage. « Ils ne parlaient pas de moi. Ils parlaient de ma silhouette, de ma tenue, de mon nom de famille. Mais pas de moi », confie-t-elle avec une lucidité poignante.
Face à ces attaques, Airyn ne cède pas à la colère, mais choisit la nuance, la réflexion, et la réappropriation de sa narration. Elle sait que ce monde n’est pas tendre avec les femmes trans, encore moins quand elles sont noires, visibles et en dehors des canons de beauté dominants. Et pourtant, elle avance, doucement mais sûrement, vers une visibilité qui l’honore et l’élève.
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Une quête de reconnaissance, loin du privilège supposé
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, porter le nom De Niro n’a pas ouvert de portes. Airyn a auditionné pour plusieurs rôles, notamment dans « Euphoria » ou encore pour des jeux vidéo comme « League of Legends », sans succès. Elle le dit sans amertume mais avec franchise : elle veut réussir par elle-même, loin de l’image de « nepo baby » que les médias veulent lui coller.
Elle poursuit actuellement des études pour devenir conseillère en santé mentale, un domaine qu’elle veut rendre plus inclusif, en particulier pour les personnes queer et racisées. « La santé mentale a longtemps été pensée par et pour des hommes blancs cisgenres. Il est temps de changer ça », explique-t-elle.
Représentation des femmes trans noires et transphobie aux États-Unis
Les femmes trans noires sont sous-représentées et surexposées à la fois : elles apparaissent peu dans les grands médias, mais sont souvent la cible de discours haineux et de violences. Selon le rapport 2024 de GLAAD, seulement 1 % des personnages LGBTQ+ dans les grands films américains sont des femmes trans, et très peu sont noires ou racisées.
Sur le terrain, les discriminations systémiques persistent : en 2023, plus de 500 projets de lois anti-LGBTQ+ ont été introduits dans les assemblées américaines, beaucoup ciblant explicitement les personnes trans. Les femmes trans noires, en particulier, sont les plus exposées à la violence, aux agressions et aux discriminations en matière d’emploi et de logement.
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Une féminité joyeuse et inclusive
Ce qui frappe chez Airyn, c’est cette façon d’incarner une féminité généreuse, vivante, inclusive, qui refuse l’élitisme et le rejet. Elle puise dans l’héritage de sa mère, l’actrice et entrepreneuse Toukie Smith, cette manière d’être là, de rayonner, de créer du lien. « Je veux qu’on voie quelqu’un qui essaie de guérir », dit-elle.
Pas quelqu’un de parfait, ni une icône lisse à admirer de loin, mais une femme qui se construit, qui se cherche, qui apprend à s’aimer. Une femme qui espère aussi, un jour, pouvoir poser avec sa mère sur la couverture de Vogue, pour célébrer toutes les femmes noires et trans trop longtemps invisibilisées.
Avec pudeur mais détermination, Airyn De Niro nous rappelle ainsi que le droit de raconter son histoire est un acte de survie autant qu’un geste politique. Dans un monde où la visibilité est souvent confondue avec l’exposition, elle revendique le droit à la nuance, à la tendresse, à la complexité. Son récit est une offrande à celles et ceux qui, comme elle, cherchent un reflet fidèle dans les miroirs de la société. Une parole forte, belle et nécessaire.