Depuis quelques mois, un pan inattendu de TikTok intrigue, fascine ou déroute. Ce sont des vidéos où l’on voit des adolescents sauter à quatre pattes avec une agilité impressionnante, porter des masques d’animaux, faire claquer des canines prothétiques ou agiter des queues de renard. Bienvenue dans TherianTok, le coin de la plateforme dédié à la communauté thérian des personnes qui s’identifient, spirituellement ou intérieurement, à un animal non humain.
De l’éveil au « shift » : une expérience vécue comme existentielle
Souvent confondue avec les furries, la culture thérian repose pourtant sur une philosophie bien distincte. Si les furries créent un personnage-animal qu’ils incarnent, les thérians, eux, se sentent littéralement liés à un animal réel, parfois même convaincus d’en être la réincarnation.
Le mot « thérian » vient du terme « thériantrope », utilisé à l’origine en anthropologie pour désigner des figures hybrides mi-humaines mi-animales dans les mythes anciens. Aujourd’hui, il qualifie les personnes qui ressentent une identité animale profonde. Ce sentiment naît souvent à l’adolescence, lors d’un « éveil », décrit comme un moment de révélation intérieure. Il peut s’agir d’un rêve récurrent, d’un ressenti physique particulier ou simplement d’un déclic.
Après cet éveil, les thérians peuvent vivre des « shifts », moments où leur comportement, leur posture, ou leur perception d’eux-mêmes se rapproche de celui de l’animal auquel ils s’identifient. Cela peut se manifester par des gestes, des habitudes, des sensations, ou encore par des pratiques comme le quadrobic — discipline qui consiste à se déplacer à quatre pattes de manière fluide et rapide, parfois avec des sauts acrobatiques.
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Therian vs Furry : deux mondes proches, mais aux logiques différentes
La proximité visuelle entre thérians et furries prête à confusion. Masques, oreilles, queues, comportements primitifs… Pourtant, les objectifs sont distincts. Les furries créent un « fursona », un alter ego animal souvent fantaisiste, qu’ils incarnent à travers des costumes et des avatars. L’expérience est ludique, parfois artistique ou communautaire, et ne repose pas forcément sur une identification intérieure.
Les thérians, eux, ne se déguisent pas : ils expriment une part intime de leur identité, parfois même vécue comme spirituelle ou métaphysique. Le masque ou les prothèses sont là pour manifester ce lien avec l’animal intérieur, pas pour en jouer. Cette distinction est cruciale pour comprendre la manière dont les thérians se présentent en ligne : il ne s’agit pas (seulement) de performance, mais d’une affirmation identitaire.
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TikTok, un espace d’affirmation et de contradictions
Comme beaucoup de sous-cultures avant elle, la communauté thérian a trouvé sur TikTok un lieu d’expression visuelle fort. La viralité de certains hashtags comme #therian ou #quadrobic a contribué à rendre ces pratiques plus visibles. Cependant, ça n’en fait pas pour autant un « effet de mode ». Certaines vidéos cumulent plus d’un million de vues. Ce succès tient à plusieurs facteurs :
- Une esthétique spectaculaire : sauts à quatre pattes au ralenti, coordination physique impressionnante, ambiances immersives.
- Un aspect « coming out » : plusieurs vidéos mettent en scène l’éveil ou le « shift », souvent avec émotion.
- Une forte représentation féminine : beaucoup de créatrices mettent en avant une identité animale féminine, mêlant douceur, force et mystère.
Une communauté souvent incomprise
Comme beaucoup de groupes non normés, les thérians suscitent incompréhension et jugements rapides. Leur manière de se mouvoir, leur rapport au corps, leur spiritualité atypique peuvent sembler étranges à l’extérieur. Mais au sein de la communauté, ces comportements sont sources de confiance en soi, de solidarité, et d’affirmation.
Pour les jeunes en quête d’identité, en particulier celles et ceux qui se sentent différents ou exclus, le fait de s’identifier à un animal offre une autre manière d’habiter son corps. C’est une forme de dissidence douce, de réappropriation symbolique où l’on se reconnecte à quelque chose d’instinctif, de vivant, de libre.
Comprendre sans juger
À l’heure où les plateformes façonnent des communautés mondialisées autour d’esthétiques, de gestes et de récits personnels, TherianTok est un exemple fascinant de notre époque. Il révèle la puissance de l’imaginaire pour construire des identités plurielles, hybrides, mouvantes. Il rappelle aussi que ce qui semble étrange à première vue peut être profondément signifiant pour celles et ceux qui le vivent.
Comprendre la communauté thérian, ce n’est pas y adhérer ou l’imiter. C’est reconnaître que l’identité humaine ne se limite pas à des cases figées. C’est aussi bousculer les normes. Au fond, chercher à incarner quelque chose d’autre que soi, même brièvement, même symboliquement, est une manière de mieux se comprendre.