Uniforme à l’école : est-ce vraiment une bonne chose de l’imposer aux élèves ?

Le 12 janvier 2023, l’Assemblée nationale a rejeté un texte du Rassemblement National (RN) visant à rendre l’uniforme obligatoire à l’école. Alors qu’il est coutumier dans de nombreux pays, en France, l’uniforme est l’exception plutôt que la règle. Les récents événements ont relancé le débat, l’uniforme est-il vraiment nécessaire ? Est-ce une bonne chose de l’imposer aux élèves ?

L’uniforme à l’école face à l’actualité française

Dans sa proposition de loi, le Rassemblement National voulait « lisser les inégalités sociales entre les élèves en mettant fin à la ‘course aux marques’, lutter contre le harcèlement scolaire et, surtout, contre le ‘communautarisme islamique' ». Ce dernier gangrène de nombreux établissements selon le RN. En réponse, le ministre de l’Education, Pap Ndiaye, a affirmé :

« Je ne veux pas de loi à ce sujet. Imposer l’uniforme à tou.te.s les élèves, c’est non »

Cette prise de position a fait serrer les dents du groupe de Marine Le Pen qui s’est empressé de désigner le ministre comme un « chantre du wokisme, de l’indigénisme et du racialisme ». Si les élu.e.s RN semblaient convaincu.e.s de leur proposition, elle n’a trouvé que peu d’écho. En effet, les député.e.s de la majorité ont douté du bien-fondé de celle-ci. Christophe Marion du parti Renaissance l’a ainsi expliqué :

« Il serait séduisant d’imaginer que nous allons régler avec un uniforme comme avec une baguette magique tous les maux réels ou supposés de l’école »

L’opposition la plus ancrée est venue des partis de gauche (NUPES). Ces derniers ont expliqué que l’uniforme représente une stigmatisation des musulman.e.s et des femmes, un coût additionnel pour les élèves les plus défavorisé.e.s, une proposition illusoire face à des enjeux bien différents.

L’opposition a ajouté que cette proposition de loi était une « illustration du vide programmatique du RN en matière d’éducation » ainsi que la « nostalgie d’une école révolue fleurant bon la IIIe République ».

Les arguments en faveur

Les nombreux pays, ainsi que quelques écoles en France appliquant le port de l’uniforme justifient cette décision par plusieurs arguments.

  • Selon eux, l’uniforme sert à construire l’identité collective. Les jeunes le portant se défèrent autour de ce sentiment d’appartenance et de fierté.
  • L’uniforme donne une visibilité interne comme externe à l’établissement.
  • L’uniforme, sans pour autant dissoudre les inégalités sociales à la racine, permettrait de manifester l’égalité des élèves devant l’institution scolaire.
  • Il servirait aussi à protéger les élèves des moqueries, à les inciter à la sobriété en invoquant une forme d’élégance.
  • Enfin, Madame Macron est en faveur du port de l’uniforme, car il simplifie la routine quotidienne, c’est un gain de temps.

Les arguments contre

Face à ces arguments, l’opposition affirme d’abord que l’uniforme ne peut atteindre ces objectifs seul. Ceci dans la mesure où les inégalités sociales s’afficheront toujours par de nouveaux codes et symboles (chaussures, stylos, téléphones, etc.).

  • Les opposant.e.s affirment que l’uniforme entrave la construction de l’identité personnelle des élèves. L’habit est un moyen à leur disposition pour exprimer leur créativité, leur originalité et plus généralement, leur identité. À vouloir lisser les élèves par le port d’un uniforme, on les prive de leur identité.
  • D’autres expliquent que l’uniforme peut entraver l’apprentissage de la pluralité des identités alors que nous vivons dans une société faite de différences.
  • Enfin, l’uniforme représente une dépense supplémentaire pour les familles. Nous le verrons, il est rarement offert ou subventionné. Alors, son achat représente un coût que certaines familles ne peuvent pas supporter.

Qu’en est-il des écoles imposant l’uniforme ?

À l’inverse de la France, l’uniforme est de coutume dans les pays anglo-saxons. Il y tient une place de choix, telle une tradition renforcée par les représentations portées dans les médias populaires. Ainsi, ces pays ont été le lieu de nombreuses études voulant déterminer la pertinence de l’uniforme dans les objectifs qu’il vise.

La professeure et autrice Rachel Shanks a mené une étude à ce propos dans les 357 écoles secondaires publiques d’Écosse. Il s’avère que dans 96 % de ces établissements secondaires, l’uniforme est obligatoire. Alors, avec leurs élèves, ces établissements ont souligné les diverses raisons invoquées pour le justifier.

  • Ces écoles mettaient l’accent sur l’intérêt des élèves. Les institutions interrogées se servaient des arguments précédemment évoqués pour justifier le port de l’uniforme (mission éthique, identitaire, de fierté et d’un sentiment d’appartenance).
  • Elles insistent également sur le renforcement de la sécurité et la réduction de l’absentéisme scolaire. Cet argument de la sécurité avait déjà été servi aux États-Unis dans les années 1990. Il s’agissait de réduire la force des gangs et la violence à l’école. Il était supposé que si tou.te.s les élèves portaient le même habit, il serait impossible de déterminer qui appartenait à tel.le groupe ou équipe. Hélas, la vacuité de cet argument nous a été démontrée.
  • Enfin, les écoles écossaises évoquent la réduction de la concurrence et des discriminations entre élèves et l’amélioration de leur employabilité.

En soutien et confirmation de ces dires, le gouvernement écossais déclarait récemment :

« Il est reconnu que l’uniforme scolaire joue un rôle important dans l’implication des élèves à l’école, dans la promotion d’un sentiment d’identité et d’appartenance »

Cela étant dit, l’étude détermine que l’uniforme à lui seul ne peut avoir de tels effets. Ceci d’autant plus que son introduction dans un établissement coïncide généralement avec l’arrivée d’une nouvelle équipe de direction, donc d’un nouveau règlement.

Quels sont les résultats de ce port ?

Par l’observation des nombreux établissements prônant le port de l’uniforme, il est donc possible de déterminer si ses objectifs sont atteints. C’est notamment ce à quoi s’est employé l’Education Endowment Foundation.

1 – L’uniforme favoriserait les bons résultats

En comparant les différents travaux sur la question, il a été impossible pour le EEF de trouver un lien entre le port de l’uniforme et les progrès dans les apprentissages. Un peu plus tard, Public Health Review s’est attelé à la même tâche et n’a pas non plus pu établir de rapport entre l’uniforme et les résultats scolaires.

2 – L’uniforme renforcerait la sécurité

De la même manière, aucune donnée anglo-saxonne ne permet de confirmer que le port de l’uniforme réduirait les tensions. Par ailleurs, les chiffres aux États-Unis ne montrent pas de baisse de la violence dans les établissements ayant intégré l’uniforme.

De plus, si les recherches qui y sont menées montrent qu’en effet les enseignant.e.s perçoivent les écoles comme plus sûres, les élèves ne confirment pas ce ressenti.

3 – L’uniforme améliorerait l’employabilité

L’étude menée en Écosse soulignait que les élèves s’entendaient dire que le port de l’uniforme permettait de reproduire l’environnement de travail. Alors, il les préparait à leur future vie professionnelle. Or, la professeure explique que les emplois requérant le port d’un uniforme se font de plus en plus rares, ceci d’autant plus que les codes vestimentaires se sont assouplis.

4 – L’uniforme réduirait les inégalités de minorité

Les recherches appliquées aux établissements imposant l’uniforme sont sans appel : l’uniforme a un impact négatif sur les jeunes issu.e.s d’une minorité ethnique, religieuse ou de genre.

Sandrine Ricci, sociologue spécialisée dans les violences faites aux femmes, considère que la question de l’uniforme genré n’a rien d’anecdotique. Selon elle, de tels règlements participent du contrôle du corps des femmes à travers leur tenue vestimentaire.

« C’est une forme de domination normative qui n’a aucune raison d’être. Les étudiantes ont interpellé les établissements scolaires de nombreuses fois à ce sujet, mais elles sont difficilement entendues »

5 – L’uniforme servirait l’égalité entre les élèves

C’est le premier argument utilisé pour justifier le port de l’uniforme. En habillant de la même manière tou.te.s les élèves (bien qu’une distinction binaire du genre persiste), iels seraient mis.es sur un pied d’égalité. L’uniforme permettrait ainsi de réduire les discriminations et les brimades quant aux habits. Cependant, plusieurs obstacles se posent contre la réalisation de cet objectif.

D’abord, il est impossible d’effacer les inégalités sociales juste par le port d’un blazer identique pour tou.te.s : les accessoires, chaussures et sacs permettent d’affirmer ces distinctions de classes.

Ensuite, certaines réglementations quant à l’uniforme renforcent même les inégalités. L’imposition de l’achat d’un certain uniforme peut dépasser le budget de certaines familles. Même s’il arrive que des aides financières leur soient accordées, il n’est pas rare qu’elles soient bien inférieures au montant requis par cet achat. L’Écosse a mis en place une subvention minimale de 150 livres sterling (environ 169 euros) au secondaire. Mais en 2020, la Children’s Society estimait à 337 livres (379 euros) les frais d’achat par an de l’uniforme.

De plus, de nombreuses écoles ont conclu des accords exclusifs avec des fournisseurs, cela augmente souvent le prix d’un uniforme. Il faut ajouter à cela l’achat d’articles recommandés pour les classes et les cours de sport. Pour pallier a cela, certaines organisations (Cost of the School Day) tâchent de mettre en place des politiques d’uniformes accessibles à toutes les familles.

Uniforme à l’école : la question de la jupe

En 2020, un groupe d’adolescents québécois faisait la une de la presse. Ils ont décidé de se présenter à l’école en portant des jupes afin de protester contre les discriminations qu’elle engendre. À ce mouvement se sont ralliés des membres du personnel.

Cette action voulait porter la colère de jeunes filles s’étant souvent plaintes auprès de l’administration à ce propos. Sur sa page Facebook, le Collège Jean-Eudes avait félicité cette initiative :

« Aujourd’hui, nos élèves ont usé de créativité pour questionner la place de l’uniforme au Collège. (…) Nous saluons l’audace de la jeunesse qui osera toujours questionner des façons de faire et les traditions afin d’en créer de nouvelles, en tout respect de la vision de notre institution : élever des intelligences et des cœurs »

Suite à cela, l’école a voté pour l’adoption de l’uniforme non genré. D’autres ont suivi le mouvement, donnant la mission au fournisseur de leur offrir des uniformes aux coupes non genrées. Désormais, les coupes sont plus neutres et le choix est laissé aux élèves de porter la jupe ou le pantalon.

Cela étant dit, les réseaux sociaux se sont enflammés. Des étudiantes ont témoigné pour dénoncer l’hypocrisie de la direction qui n’a jamais pris au sérieux leurs revendications. Elles accusaient depuis des années un règlement injuste, sexiste et hypersexualisant souvent prétexte à des humiliations et des punitions. Pour autant, elles n’étaient pas entendues. Ce n’est que lorsque des garçons ont été solidaires que la cause a été entendue. Sandrine Ricci rappelle que cet écho médiatique est une marque du privilège masculin puisque les filles qui essayaient de transgresser le règlement étaient systématiquement punies. Elle rappelle aussi que :

« Pour lutter contre les violences faites aux femmes, je crois que l’énergie des établissements scolaires devrait plutôt aller à l’éducation sexuelle et à l’apprentissage du respect et de l’égalité »

Ainsi, même s’il est de coutume dans de nombreux pays, l’uniforme ne fait toujours pas l’unanimité. Il permet à certains égards de servir la fierté et le sentiment d’appartenance à une institution. Pour autant, ses bienfaits ne peuvent être prouvés, au contraire des maux qu’il porte.

Pour trouver un juste-milieu, des propositions sont émises : laisser les élèves accessoiriser les uniformes à leur guise, payer complètement tous les frais engendrés, laisser le choix de la jupe ou du pantalon, opter pour des uniformes non-genrés ou encore, imposer également son port au personnel enseignant. Subsiste une question : en termes de politiques éducatives, est-ce vraiment une priorité ?

Charlotte Vrignaud
Charlotte Vrignaud
En tant que journaliste spécialisée dans les médias et la culture, mon quotidien est une aventure passionnante au cœur de l'évolution culturelle et médiatique de notre époque. Mon rôle consiste à décrypter et à partager les tendances émergentes, les innovations et les récits captivants qui façonnent notre société.
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