« Ma belle », « ma petite »… : voici pourquoi les surnoms au travail peuvent être toxiques

Au travail, il n’est pas rare de voir ses collègues – ou soi-même – être affublé.e.s de surnoms. Souvent réservés aux femmes, ils se déclinent à l’infini : ma belle, poulette, cocotte, mistinguett, pipette, la jeune… Ces surnoms sont parfois si prégnants qu’ils peuvent remplacer les véritables prénoms des concerné.e.s. En réalité, les surnoms au travail sont toxiques, ce sont des micro-agressions. Voici pourquoi.

Une pratique qui touche les minorités

En 2013, le Conseil Supérieur de l’Égalité Professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) commandait une étude à propos des surnoms sexistes à l’institut de sondage LH2. Dans ce cadre LH2 a combiné les résultats de deux enquêtes réalisées auprès d’un échantillon de plus de 15 000 hommes et femmes. Les résultats révèlent que 49 % des femmes interrogées ont déjà été interpellées par un homme usant d’un surnom sexiste.

Plus récemment, Dang-Minh Tran, co-fondatrice du Projet Adelphité travaillant pour l’inclusivité et la diversité dans les entreprises, s’insurgeait sur LinkedIn. Dans un post publié en décembre 2022, elle fait mention de ces « micro-agressions » du quotidien professionnel.

« Les surnoms comme ‘ma petite’, ‘ma belle’, ‘l’Asiat’, ‘le black’, ‘les petites bouffonnes’… Non, ce n’est pas affectueux. Ce n’est pas mignon. C’est malaisant et pas professionnel », liste l’entrepreneuse

Dans son post, elle insiste sur le fait que ces surnoms issus d’un héritage paternaliste dévaluent la crédibilité professionnelle des visé.e.s. De fait, les femmes et les travailleur.se.s issu.e.s des minorités sont les plus concerné.e.s. C’est ce que confirme la psychologue du travail Mélissa Pangny au magazine Marie Claire : « C’est plus rare de voir des hommes affublés de ces mêmes types de dénomination ».

Dang-Minh Tran affirme haut et fort son ras-le-bol de ces surnoms toxiques aux airs d’agressions racistes et sexistes au travail.

« Personne n’a envie d’être l’Asiatique de service ou le Noir de l’équipe. C’est paternaliste et infantilisant. On appelle les hommes blancs par leur prénom, pourquoi pas les femmes et les personnes minorisées ? Tout le monde mérite d’être considéré et respecté »

Surnoms au travail : une fausse affection

Ces surnoms toxiques ont longtemps – et sont toujours – été légitimés au travail sous couvert d’être des signes d’affection. Bien sûr, il arrive que les affinités entre collègues mènent parfois à ces fins. Or dans ce cas, la personne concernée accorde l’usage d’un sobriquet. Il arrive même que ce soit elle qui préfère cette dénomination. La psychologue du travail explique très clairement que « tout est une question de ton et d’intentions«  qui donnent au sobriquet sa connotation. Hélas, nombreuses sont les personnes qui n’ont pas le choix de leur surnom et le subissent donc.

Dans son post, Dang-Minh Tran s’empare de la toxicité de ces petites agressions trop souvent justifiées par une intention affectueuse. Qu’elle soit intentionnelle ou non, une micro-agression nous dénigre dans notre origine sociale, notre groupe ethnique, notre genre ou notre orientation sexuelle. Finalement, les petits surnoms que l’on nous donne au travail sont toxiques en ce qu’ils s’ancrent dans un sexisme et un racisme ordinaires.

Les prémices d’un harcèlement moral

Cette excuse de l’affectif ne tient pas, tout simplement parce qu’elle n’a pas lieu d’être dans le cadre du travail. Les surnoms sont même un moyen de déshumaniser une personne. En effet, dès lors qu’ils remplacent un prénom, ils retirent un pan de l’identité des concerné.e.s et les décrédibilisent. Mélissa Pangny l’image ainsi :

« En disant ‘ma petite’, on donne une certaine place à la personne. On ne se permettrait jamais ça avec un.e directeur.rice par exemple »

Dans le cadre décrit, il faut prendre compte du fait que les surnoms ne sont qu’un symptôme de ce qu’il se passe réellement. Comme l’explique la psychologue :

« C’est une porte ouverte au harcèlement au travail »

On comprend facilement qu’une personne affublée de ces surnoms n’est pas respectée, pas valorisée. Alors d’autres comportements, d’autres phrases s’ajoutent à une situation déjà anormale et toxique.

L’article L. 1152-1 du Code du travail définit le harcèlement moral comme « un ensemble d’agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits des salariés et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Cet article se voit complété de la Loi sur l’Égalité entre hommes et femmes. Elle veut protéger les travailleur.se.s des discriminations fondées sur le sexe sur leur lieu de travail. Hélas, rien que son appellation fait la preuve de son principal écueil.

En faisant mention du « sexe » et non pas du « genre« , elle est discriminatoire. À cause de cette irrégularité, des arrêts injustes ont été rendus. Pour prouver son point, Charlotte Teasdale propose une réflexion éclairante sur l’importance des mots et des surnoms utilisés dans le monde du travail.

« La Loi sur l’Égalité omet ainsi l’évidence même du féminisme : le sexisme n’est pas la haine à l’encontre des femmes, mais la haine profonde du féminin. Et des formes plurielles de féminité »

Une obligation à se taire

Généralement, les personnes visées par des surnoms toxiques au travail n’osent pas lever la voix. Elles craignent d’être stigmatisées, traitées de rabat-joie et d’instaurer une mauvaise ambiance. Il arrive que leurs collègues ne voient pas cela d’un mauvais œil. Plutôt que d’être considérés comme toxiques, les surnoms au travail sont banalisés dans notre société. L’entourage professionnel ne comprend pas toujours que ce que tout le monde accepte puisse heurter une personne.

Or, la psychologue Mélissa Pangny est très claire : il faut réagir vite et affirmer que ce surnom ne nous convient pas. Malgré tout, si la situation perdure, la psychologue conseille de faire remonter cela au service des ressources humaines. Elle insiste sur ce fait « parce que dans certains cas, ces surnoms peuvent être un premier red flag en entreprise« . Ils peuvent donc n’être que l’augure d’autres comportements toxiques à venir.

La loi exige de l’employeur.se qu’iel vous protège. Iel peut décider de sanctions contre le.a harceleur.se (mutation, mise à pied, licenciement). Aussi, le harcèlement moral est un délit pouvant être puni de deux ans de prison et de 30 000 € d’amende au plus.

Alors, il est temps d’en finir avec les surnoms au travail, ils ne sont pas affectifs, mais toxiques. Ce sont généralement des armes de décrédibilisation et de stigmatisation des minorités. Même s’ils paraissent innocents, les surnoms au travail sont en réalité les outils toxiques d’un harcèlement moral.

Charlotte Vrignaud
Charlotte Vrignaud
En tant que journaliste spécialisée dans les médias et la culture, mon quotidien est une aventure passionnante au cœur de l'évolution culturelle et médiatique de notre époque. Mon rôle consiste à décrypter et à partager les tendances émergentes, les innovations et les récits captivants qui façonnent notre société.
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