Une bouche maculée de noir, des sourcils presque effacés, des rides apparentes, mais surtout un visage qui tremble. Non ce n’était pas de la mise en scène, ni les effets du trac, mais bien le reflet d’une maladie qui touche des millions de personnes dans le monde. Pour incarner sa collection automne-hiver 2025, Balenciaga a fait appel à Junoso Sonja, une mannequin atteinte de Parkinson.
Une mannequin « pas comme les autres »
Lors du défilé Balenciaga qui s’est tenu dans la capitale de la mode en juillet dernier, une mannequin a attiré l’attention derrière les étoffes griffées. Loin d’être une simple vitrine vivante, elle ne s’est pas effacée sous les vêtements : elle les a dominés. Tant et si bien que les invités sur le front row en ont presque oublié l’allure et les textures de la tenue défendue. Un regard franc, un jeu de jambes maîtrisé, une attitude impertinente. Parée d’un long manteau de fourrure et d’une robe brune à col lavallière, la mannequin a subjugué un public de prestige. Y compris l’impassible papesse de la mode Anna Wintour.
Pendant toute la durée de son passage, elle garde cette fameuse moue indéchiffrable typique des modèles. Sa tête toutefois tressaille et s’agite de gauche à droite comme si elle était transcendée par les vêtements. Ce n’est pas le fruit d’une chorégraphie minutieusement révisée ni une performance artistique. Ce sont simplement les symptômes lisibles de Parkinson, dont la muse Junoso Sonja est atteinte. La soixantenaire, qui porte en elle l’esprit underground de la mode berlinoise, s’est lancée sur le tard sur le catwalk. Et la maison Balenciaga, jusqu’alors guidée par Demna Gvasalia, styliste d’avant-garde, l’a déjà sollicité pour d’autres shows passés.
L’an dernier, elle apparaissait enlacée d’une doudoune noire démesurée pensée comme une couette de jour. Petite protégée de la griffe aux accents espagnols, elle a également trôné dans la campagne « High Summer 25 », son corps froissé à l’appui. Avec son look rebelle et son allure presque effrontée, elle s’ancre aussi sur les couvertures vernies des magazines alternatifs. Celle qui se compare à une « extra-terrestre » dans sa bio Instagram est campée par une maladie qui est pourtant bien propre aux humains. Ce qui rend chaque apparition non pas plus « dramatique », mais plus spectaculaire.
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La maladie de Parkinson vue par la mode
Junoso Sonja est la seule mannequin active atteinte de la maladie de Parkinson, deuxième cause de handicap moteur chez l’adulte. Cette affection chronique neurodégénérative est plus souvent associée aux blouses blanches qu’aux pièces haute couture faites de soie et de cachemire. Elle est abordée sous un angle purement préventif et illustrée par des séniors en cannes ou des cerveaux simplifiés. Sous l’impulsion de cette mannequin silver haute en couleur, elle sort de l’ombre des hôpitaux pour s’imposer dans un milieu pailleté.
L’idée n’est pas de vanter la maladie de Parkinson ni d’en faire un objet de curiosité. Simplement d’en donner une autre lecture, moins morose, et plus glamour. À travers chaque défilé, Sonja Junoso convertit la pitié en éloges et un des fardeaux de l’âge en force. Le regard fier, rivé vers l’avenir, la tête indomptable, mais gardée haute et la mine presque impériale. La mannequin germanique brille avec sa maladie. Lors de ce défilé Balenciaga, elle prouve que la beauté dépasse les affres du corps et de l’esprit. Par son aura puissante, presque transgressive, elle confronte les codes de l’industrie de la mode.
Vers une mode plus humaine et inclusive ?
D’autres mannequins porteuses de handicaps ou dotées de particularités font irruption sur le catwalk. Certaines affichent leur boîtier d’insuline par-dessus la matière tandis que d’autres chaussent des souliers munies de leur prothèse. Les grandes maisons ne les sollicitent pas pour créer l’effet de surprise ou par souci de nouveauté. Elles les réclament pour représenter la beauté dans tous ses états et rompre avec ces normes esthétiques trop lisses pour être vraies.
Sonja Junoso est quant à elle la première mannequin atteinte de la maladie de Parkinson à rejoindre le catalogue aux côtés de consoeurs à la chevelure grisonnante et à la peau chiffonnée par les rires. Elle fait partie de ces générations de mannequins qui servent d’étendard aux créations luxueuses, mais aussi à des causes qui dépassent les coutures.
Sonja Junoso ne se contente pas de porter des tenues, elle leur donne vie sur sa silhouette frémissante, elle les personnifie. Elle normalise une maladie imprévisible dans un univers où tout est généralement sous contrôle. Et ça, c’est une petite révolution inclusive.