Anorexie masculine : le témoignage poignant de Nicolas, 1m74 pour 42kg

L’anorexie est une bĂªte noire qui prend possession du corps sans crier gare. Une fois installĂ©e, l’anorexie signe le dĂ©but d’une lente descente aux enfers. Elle acte un auto-sabotage hors de portĂ©e qui mène le corps Ă  sa propre perte. Si ce trouble psychique se conjugue souvent au fĂ©minin, les hommes peuvent aussi tomber entre ses griffes. Sauf que le diagnostic « au masculin » se fracasse trop souvent aux tabous, aux non-dits et aux exigences virilistes.

Selon les chiffres, un homme sur cinq serait pourtant en proie à cette maladie insidieuse. C’est le cas de Nicolas, 38 ans, qui cohabite avec ce monstre intérieur depuis cinq ans. Entre souffrance quotidienne et néant médical, il raconte les ravages de l’anorexie masculine. Un témoignage précieux qui sonne comme un cri de détresse. 

The Body Optimist : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Nicolas : « Je suis Nicolas 38 ans et je viens de Tours. Je suis anorexique depuis 5 ans, et j’ai d’autres troubles psychiques. J’ai une dĂ©pression depuis mes 16 ans et des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) depuis l’enfance. »

Comment Ăªtes-vous tombĂ© dans le cercle infernal de l’anorexie ?

« Je suis atteint d’anorexie masculine depuis 5 ans, j’ai eu une pĂ©riode en 2006 oĂ¹ je suis montĂ© Ă  72kg pour 1m74. Ă€ ce moment-lĂ , j’ai commencĂ© Ă  maigrir très vite sur 1 mois. Depuis, j’ai toujours fait attention Ă  ce que je mangeais. L’anorexie est venue sournoisement, c’est une maladie qui nous pousse de mois en mois, d’annĂ©e en annĂ©e, Ă  manger toujours moins, Ă  Ă©pier les calories, Ă  ne presque plus rien manger.

Je fais Ă  prĂ©sent 42 kg pour 1m74. Je pense que l’anorexie traduit un sentiment de mal Ăªtre. Elle est lĂ  pour vous dire « je suis là », « regardez-moi »… Le fait d’Ăªtre très maigre est vu comme de la pitiĂ©, si je peux dire ainsi. Sauf qu’une fois qu’on est tombĂ© dans ce trou profond, on en remonte jamais vraiment, on glisse un peu comme sur de la glaise.

J’ai subi des moqueries Ă  l’adolescence pour des dents avancĂ©es. Pendant 7 ans, j’ai portĂ© un appareil dentaire, ça ne m’a pas aidĂ© Ă  me sentir bien dans ma peau. J’ai eu un choc Ă©motionnel Ă  15 ans qui m’a laissĂ© une voix fĂ©minine pendant plus de 12 ans. J’ai retrouvĂ© ma voix normale quand mon papa a quittĂ© ce monde. C’était une double peine. Mon quotidien Ă©tait tellement insoutenable que je me suis dĂ©scolarisĂ© et j’ai plongĂ© dans une grande solitude. »

« Pour moi, l’anorexie Ă©tait aussi une forme d’automutilation. Une fois que la maladie est installĂ©e, rester en vie devient une souffrance physique et mentale. Plus elle s’enracine et plus ça devient dur de s’en sortir »

Comment se traduit cette anorexie au quotidien ?

« DĂ©jĂ , j’ai froid en permanence. Je vis sous une couverture chauffante presque 24/24h. Je n’ai que la peau sur les os et un style cadavĂ©rique. J’ai de l’ostĂ©oporose sĂ©vère. Mes os se dĂ©sagrègent et se confondent avec ceux d’une personne de 60 ans. Alors, forcĂ©ment, les organes, mĂªme vitaux, fonctionnent au ralenti. Mon cÅ“ur est Ă  40 BPM et ma tension Ă  9.

J’ai des maux de ventre, des ballonnements, une digestion très lente, une fatigue permanente, les cheveux qui tombent. Mon cerveau est continuellement dans un espèce de brouillard Ă©pais. Au quotidien, j’arrive Ă  me faire de lĂ©gères dĂ©chirures musculaires quand je porte des charges un peu trop lourdes et j’ai de lĂ©gères fĂªlures aux cĂ´tes, faute de graisses. »

« Tout le corps souffre. MĂªme enjamber une simple bosse sur un trottoir devient compliquĂ©. La vie est en un enfer permanent. Il n’y a pas un seul jour sans que je pense au suicide »

« Je me suis mĂªme dĂ©jĂ  renseignĂ© sur le suicide assistĂ©. Pourtant, vous me direz c’est simple il suffit de manger. Oui, mais tous les anorexiques ont cette petite voix dans la tĂªte qui les dirige comme des pantins. Notre propre cerveau veut nous tuer. Je marche 5 km par jour, car oui la maladie veut que vous Ă©liminiez, sinon ce n’est pas marrant. Et si vous ne le faites pas, le stress et la culpabilitĂ© prennent le dessus. Alors on monte sur la balance Ă  tout va, on pèse ses aliments aux grammes près… ça fait partie de la maladie. Mais combien de temps je vais tenir Ă  ce rythme-lĂ  ? »

L’anorexie est souvent associée aux femmes. Pourtant un homme sur cinq en souffre. Comment avez-vous vécu cette « catégorisation » ?

« L’anorexie masculine est très peu connue, car je pense que les hommes sont plus machos. On se voile la face. Dire qu’on est malade est plus tabou, mais heureusement les paroles se libèrent doucement. Il faut lever sa part de virilitĂ© et admettre qu’on est comme tout le monde : des Ăªtres humains. On n’est pas plus fort que les femmes face aux maladies. Il y a surement mĂªme plus d’un homme sur cinq qui en souffre.

Les statistiques reposent sur des personnes qui vont consulter, mais les chiffres sont biaisés puisque la plupart des hommes vivent l’anorexie en catimini. En voulant se fondre dans un moule, on ne fait que retarder l’échéance. Les résultats sont catastrophiques, qu’importe les TCA. »

Quel a été votre parcours médical avant le diagnostic et après ?

« J’ai Ă©tĂ© suivi par le CHU de ma ville, mais les professionnel.le.s de santĂ© ne sont pas toujours formĂ©.e.s aux TCA, il n’y a rien de dĂ©diĂ©. RĂ©sultat : on nous scande souvent que ce ne sont que des « caprices ». Il y a certes des cliniques spĂ©cialisĂ©es, mais elles sont hors de prix. Il faut compter entre 150 et 400 € la chambre par jour. »

« En plus, on pratique le contrat de poids, c’est-Ă -dire que si vous mangez, on vous donne le droit Ă  la TV, ou de lire sinon c’est nada. Une politique de privation très perverse et honteuse selon moi »

« Ça illustre parfaitement le dĂ©dain envers cette maladie. J’ai aussi rencontrĂ© une psychiatre spĂ©cialisĂ©e en TCA, qui ne voyait que mon antidĂ©presseur que je prends depuis 12 ans. Selon elle, il fallait toujours augmenter la dose pour que l’anorexie s’envole. C’est ridicule, aucun mĂ©dicament ne soigne l’anorexie.

Tant que les personnes de pouvoir ne dĂ©ploieront pas de moyens, l’anorexie masculine continuera d’emporter des vies. Il faudrait faire une vraie formation de mĂ©decin liĂ©e Ă  cette maladie, ouvrir des centres de soins de jour, revoir les modes d’hospitalisation pour espĂ©rer se rĂ©tablir. Les mĂ©decins gĂ©nĂ©ralistes sont totalement perdu.e.s de toute façon. Je me suis Ă©normĂ©ment investi pour trouver une lueur de guĂ©rison. J’ai lancĂ© beaucoup de dĂ©marches, contactĂ© des mĂ©decins, mais on me rĂ©pĂ©tait Ă  chaque fois que c’était plein. »

« J’ai dit au mĂ©decin que je tenais Ă  peine sur mes 2 jambes, mais ma souffrance est prise Ă  la lĂ©gère, voire totalement dĂ©nigrĂ©e. Il n’y a pas un brin de compassion. Cette froideur ne fait qu’aggraver le mal-Ăªtre »

Selon vous, qu’est-ce qu’il faudrait améliorer dans la prise en charge de l’anorexie ?

« J’ai Ă©crit une lettre au prĂ©sident de la RĂ©publique pour dĂ©noncer le manque de moyens et de formation sur cette maladie. J’ai envoyĂ© une copie au ministère de la SantĂ© aussi. Mais tout le monde repasse les lettres Ă  l’ARS de ma ville. Je n’ai donc jamais eu de vraies rĂ©ponses de fond. Tout le monde reconnait le manque de moyens et de formation des mĂ©decins, mais concrètement rien ne bouge. »

« Pendant tout mon parcours mĂ©dical, j’ai eu l’impression d’Ăªtre une chose. Ce système de santĂ© strict dĂ©shumanise totalement. On m’a mis sous sonde pour me « gaver », comme on le ferait avec une oie »

« Je suis seul Ă  lutter contre la maladie, je me bats contre mes propres dĂ©mons qui veulent que je ne sois plus ici. En France rien ne va. Entre les dĂ©serts mĂ©dicaux, les CHU pleins Ă  craquer, les structures inadaptĂ©es, les mĂ©thodes archaĂ¯ques… c’est un combat perdu d’avance»

Comment l’anorexie masculine vous affecte-t-elle dans votre vie personnelle et professionnelle ?

« Dans ma vie professionnelle, c’est le désert. Je ne travaille plus depuis 2012. Et dans ma vie personnelle, je suis seul. Cette solitude est assez vicieuse. L’humeur est au plus bas et le cerveau sonne creux. Le peu de gens que je côtoie est empathique, mais ne comprend pas réellement.

Ma famille a coupé les ponts avec moi depuis que l’anorexie masculine a fait son entrée dans ma vie. Sentimentalement parlant, c’est le vide total aussi. À quoi bon, ce serait mettre un fardeau sur une éventuelle petite amie. Je ne lui rendrais pas service. La maladie bouffe tout sur son passage. Je suis devenu assez sombre depuis qu’elle est là. »

​​La route vers la guérison est souvent longue et semée d’embûches. Qu’en est-il pour vous ?

« Pour Ăªtre franc, j’en suis toujours au point mort. Je me demande chaque matin si je suis dans le monde rĂ©el ou si j’ai basculĂ© vers le paradis. C’est d’ailleurs un miracle que je sois toujours lĂ . Je lutte encore contre cette voix nommĂ©e « ana ». Mon instinct de survie y est certainement pour beaucoup d’ailleurs. Une fois que la maladie s’enracine, elle impose une sorte de dictature alimentaire dont il est difficile de s’extirper. »

« Ma relation avec la nourriture est complètement chaotique. Je n’ai plus goĂ»t Ă  rien. Je me nourris seulement de compote, de faisselle et de pain de seigle. En bref, j’avale moins de 500 calories par jour, soit trois ou quatre fois moins que la norme »

« Je calcule tous mes repas de façon obsessionnelle. C’est une spirale infernale dont on ne sort jamais vraiment. MĂªme si on pense avoir trouvĂ© la lumière au bout du tunnel, l’anorexie masculine reste en toile de fond comme un poison silencieux. L’anorexie est une maladie qui tue dans l’ombre. »

Que diriez-vous aux hommes qui souffrent d’anorexie masculine ?

« Je dirais Ă  tous ceux touchĂ©s par l’anorexie masculine qu’il ne faut pas s’enfermer dans la honte. Les hommes concernĂ©s ont tendance Ă  se mettre des Å“illères et Ă  refuser les mains tendues. Ils prĂ©fèrent vivre la maladie en cachette pour ne pas montrer leur part de « vulnĂ©rabilité ».

Pourtant, cracher sur cette aide n’arrange pas les choses, au contraire. L’entourage joue un rôle phare dans ce combat acharné. Il donne une raison de s’acharner. Les hommes qui traversent le tsunami de l’anorexie masculine doivent briser l’omerta pour s’en sortir ». 

Nicolas est encore l’otage de cette maladie dĂ©vastatrice. Depuis qu’elle s’est glissĂ©e dans sa tĂªte, son quotidien ressemble Ă  un champ de ruine. Mais le rĂ©cit cinglant du Tourangeau n’est qu’un SOS parmi tant d’autres. L’anorexie masculine dĂ©vore de nombreuses Ă¢mes dans l’indiffĂ©rence la plus totale. Cette ignorance gĂ©nĂ©ralisĂ©e pousse les hommes dans la fosse aux lions. L’urgence brĂ»le ! Selon une Ă©tude britannique d’envergure, le nombre d’hospitalisations pour cas graves d’anorexie masculine a bondi de 128 % en cinq ans.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines fĂ©ministes au quotidien. Au dĂ©tour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous rĂ©serve des surprises de haut vol. Je me complais Ă  dĂ©mĂªler des sujets de fond, Ă  la manière d’une Sherlock des temps modernes. MinoritĂ© de genre, Ă©galitĂ© des sexes, diversitĂ© corporelle… Journaliste funambule, je saute la tĂªte la première vers des thèmes qui enflamment les dĂ©bats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis Ă  rude Ă©preuve.
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