Croiser les jambes est un geste si courant qu’on n’y prête presque plus attention. Pourtant, derrière ce réflexe apparemment banal, se cachent des codes sociaux, des normes de genre et des impacts sur la santé.
Un réflexe appris, pas inné
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, croiser les jambes n’est pas un réflexe naturel universel. C’est un comportement appris, souvent dès l’enfance. Les petites filles entendent en effet très tôt des injonctions comme « tiens-toi bien » ou « croise les jambes, surtout si tu es en robe », généralement pour paraître « sages » ou « bien élevées ». Ces recommandations, formulées de manière anodine, conditionnent inconsciemment les comportements posturaux des femmes à l’âge adulte.
Selon la synergologue Olga Ciesco, spécialiste du langage corporel, « ce geste devient un code social intégré, associé à la féminité et à la retenue ». Il n’a rien d’un automatisme biologique : il s’agit plutôt d’une réponse à des attentes sociales précises.
Une posture codifiée par la culture
Dans de nombreuses sociétés, croiser les jambes est perçu comme un symbole d’élégance, de discrétion et même de séduction. Dans les médias, au cinéma, dans les publicités ou les couvertures de magazines, les femmes sont presque toujours représentées assises, jambes croisées. Ce modèle visuel répété façonne une norme implicite : une femme bien élevée croise les jambes.
À l’inverse, les hommes sont rarement encouragés à adopter cette posture. Ils occupent souvent plus d’espace, jambes écartées, dans une posture dite « d’ouverture » (manspreading). Ce contraste révèle une différence d’éducation genrée, où les femmes sont poussées vers la retenue corporelle, tandis que les hommes expriment davantage de présence physique.
Une posture socialement surveillée
Le regard social joue aussi un rôle non négligeable. Les femmes sont davantage jugées sur leur manière de se tenir. S’asseoir « correctement » fait partie des critères implicites de respectabilité, surtout dans des environnements publics ou professionnels. Croiser les jambes devient alors un code de respectabilité, souvent inconscient, parfois contraignant.
Dans certaines cultures, cette posture va même plus loin : dans des pays comme le Japon ou certains États arabes, montrer la plante de son pied ou croiser la jambe vers l’extérieur peut être interprété comme un manque de respect. Ailleurs, comme en Occident, elle est vue comme un signe de politesse.
Une question de confort… conditionné
Il arrive que des femmes évoquent simplement le confort pour justifier cette position. Toutefois, ce confort est lui aussi le fruit d’un conditionnement corporel. Lorsqu’un geste est répété depuis l’enfance, il devient instinctif. D’un point de vue physiologique, croiser les jambes peut offrir une certaine stabilité au bassin, notamment sur des sièges mal adaptés.
Sauf que cette position n’est pas neutre sur le plan médical. Selon plusieurs spécialistes en ergonomie et en ostéopathie, croiser fréquemment les jambes peut en effet entraîner des tensions lombaires, une mauvaise circulation sanguine ou un déséquilibre postural. L’excès de cette position est donc déconseillé sur de longues périodes.
Un geste parfois révélateur d’un état émotionnel
Le langage corporel révèle souvent des éléments invisibles. Croiser les jambes peut signifier une volonté de se protéger, de se faire plus discrète dans un environnement perçu comme hostile ou stressant. À l’inverse, une jambe croisée tournée vers l’interlocuteur peut traduire une ouverture relationnelle, voire un intérêt.
Comme le souligne Olga Ciesco : « le corps ne ment pas ». Ce geste, bien qu’ordinaire, peut donc exprimer une émotion ou une position sociale selon le contexte, la situation et l’environnement.
Reprendre le contrôle de sa posture
Aujourd’hui, à l’heure où les normes de genre sont interrogées, il est pertinent de se poser la question : croise-t-on les jambes par habitude, par confort, par contrainte ? Ou tout simplement par choix ? La clé réside peut-être dans cette prise de conscience. Reconnaître les influences culturelles et sociales permet à chaque personne de décider librement de son attitude corporelle.
Il ne s’agit pas de rejeter ce geste, mais de le recontextualiser, de le détacher des obligations implicites qu’il peut porter. Croiser les jambes peut rester un choix personnel, tant qu’il n’est plus dicté par la peur du regard ou la pression des normes.
Ce geste, en apparence anodin, est ainsi en réalité le reflet d’une construction sociale complexe. Il témoigne des rapports de genre, du conditionnement culturel et parfois d’une adaptation au regard extérieur. Prendre conscience de cette dimension permet d’adopter une posture, non plus dictée, mais choisie – et c’est là que réside la véritable liberté corporelle.