Voici pourquoi demander le « genre » de quelqu’un peut poser problème

Même si demander le « genre » de quelqu’un ne part pas nécessairement d’une curiosité malsaine, cette interrogation est assez réductrice. En plus d’être intrusive, elle pousse à croire que l’identité de genre est l’unique composante d’une personne et que ce qu’il y a autour ne compte pas. C’est comme s’il fallait obligatoirement s’enfermer dans une case ou se restreindre à une définition. Cette question tente encore d’accoler des étiquettes aux personnes qui cherchent simplement à s’épanouir hors du schéma « hétéronormé ». Et lorsqu’elle se retrouve sans réponse, un jeu de devinettes insultant s’enclenche pour trouver le « pronom » qui matche au mieux avec notre visage. Voici donc pourquoi demander le genre de quelqu’un peut poser problème.

Le genre n’est pas égal au sexe, gare à l’amalgame

Beaucoup de personnes font encore la confusion entre ces deux notions, qui sont pourtant bien distinctes. Le sexe est déterminé à la naissance à travers la nature de nos organes génitaux. L’identité de genre, elle, est une construction sociale plus personnelle qui s’exprime indépendamment de la réalité biologique. Elle est donc forcément beaucoup plus nuancée que le sommaire duo « homme », « femme ».

Un.e individu.e peut avoir un sexe masculin, mais ne pas se sentir en adéquation avec et ainsi se décrire autrement que par ce qui se cache dans sa culotte. Demander le genre de quelqu’un peut donc induire une erreur d’interprétation et exclure d’office les personnes transgenres ou non-binaires. Cette déroute est d’ailleurs récurrente dans les formulaires en ligne ou les questionnaires de satisfaction. Pour la partie « information personnelle », le choix de « genre » se limite à deux options. Dans le meilleur des cas, une ligne supplémentaire indique « autre ». Un exemple qui prouve que la connaissance du genre est encore trouble.

Demander le genre de quelqu’un peut aussi être brutal, surtout pour celleux qui se chercheraient encore et qui ne trouveraient pas de « termes » pour s’identifier. Cette question est susceptible de raviver cette injonction à coïncider avec au moins une des dix lettres du lexique LGBT+.

Le genre est fluide, pas rigide

Contrairement à ce que la société veut nous faire avaler, le genre n’est pas strict, il est mouvant. Si pendant longtemps, le genre a été abordé de façon très linéaire et traditionaliste, aujourd’hui il s’ouvre sur d’autres horizons, plus vastes. En général, la société nous met des œillères qui nous empêchent de voir au-delà des chemins « préfabriqués ». La prise de conscience peut être précoce ou tardive, mais lorsqu’elle survient, elle débride le genre et présage souvent un revirement.

Certaines personnes peuvent expérimenter des changements dans leur identité de genre au fil du temps. Quelqu’un qui s’identifiait femme peut ne plus se reconnaître dans son genre et se complaire davantage dans le pronom « iel », plus neutre. Demander le « genre » de quelqu’un n’est donc pas la meilleure formule puisqu’il peut être amené à évoluer. En « cataloguant » un.e individu.e, on l’empêche également d’explorer son vrai « moi intérieur », ce qui peut peser sur toute une vie et créer des regrets. En parallèle, cette interrogation rejoint souvent la dichotomie « homme-femme », omettant toute la pluralité du genre.

Une question qui renforce l’effet « bête de foire »

Le genre n’est pas forcément marqué par des signes ostentatoires. Pourtant, certaines personnes ont tendance à penser que le style, la coupe de cheveux, l’attitude ou même le niveau de pilosité sont des indicateurs fiables. D’ailleurs, de nombreux jugements de ce type précèdent ou influencent la question soulevée sur le genre. Il n’est pas rare d’entendre des suppositions médiocres comme « tu as les cheveux bleus donc tu es lesbienne » ou « tu t’habilles en rose donc tu es gay« .

Demander le genre de quelqu’un, c’est sous-entendre qu’iel s’écarte des standards simplement à travers son apparence ou ses partis-pris physiques. Cette question traite le genre comme une bizarrerie ou une fantaisie. Elle a d’ailleurs la même résonance que celle qui gravite autour de l’origine ethnique de quelqu’un. Elle signifie que le genre se lit sur le visage ou dans les vêtements. Une perception très « simpliste » et grossière qui revient aux imbuvables stéréotypes de genre.

Connaître le genre de quelqu’un n’est pas toujours nécessaire

Demander le genre de quelqu’un, c’est aussi parfois enfreindre la frontière du « privé ». Même si certaines personnes l’affirment sans détour, d’autres préfèrent rester plus discrètes par crainte que le comportement des autres prenne un tournant radical. Connaître le genre d’un.e individu.e ne mène nulle part, si ce n’est vers d’autres indiscrétions, encore plus cinglantes. D’ailleurs le genre n’est qu’une petite pièce du puzzle identitaire. Il ne doit donc pas dévaloriser tous les autres traits d’une personne.

Demander le genre de quelqu’un, c’est comme forcer un coming-out. Ça n’a donc rien d’une interrogation de « routine » ou d’une question usuelle dans la même veine qu’un « c’est quoi tes passions ? ». Elle implique une révélation qui est tout sauf anodine, du moins pour la personne concernée. Elle peut se sentir vulnérable face à ces aveux ou ne pas être encore totalement à l’aise avec son identité de genre. Mieux vaut la laisser briser le silence d’elle-même plutôt que d’essayer de lui soutirer une vérité qu’elle peine peut-être à assumer.

Chercher à connaître le pronom, une meilleure alternative

Alors que la binarité homme-femme se dissout gentiment pour laisser place à plus de diversité, le genre est injustement transformé en « label ». Demander le genre de quelqu’un, c’est dénigrer l’humain pour se concentrer uniquement sur son « appartenance » à la palette LGBT+.

Au lieu de faire une fixation sur le genre d’une personne, mieux vaut l’interroger sur le pronom qui la représente plus « justement ». Même si cette question peut être assez gênante, elle évite le mégenrage et les autres fautes de langage. Moins intime et plus respectueuse que les invectives sur le genre, elle permet de garder une certaine distance sur ce sujet sans en ignorer la teneur.

Demander le genre de quelqu’un peut paraître assez inoffensif. Beaucoup s’imaginent que c’est une question comme une autre. Pourtant, en face, elle s’apparente parfois à un affront. Pour être un.e bon.ne allié.e, encouragez plutôt les personnes à se sentir en phase avec elles-mêmes plutôt que de les brusquer dans leur voyage introspectif. 

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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