Blanchiment de la peau : une pratique qui en dit long sur les standards de beauté

Le blanchiment de la peau consiste à utiliser des produits éclaircissants pour une dépigmentation volontaire. Si cette pratique est dangereuse pour la santé, vous vous demandez peut-être pourquoi certaines personnes au teint noir y ont recours. Entre diktats de beauté et crise identitaire, cet article vous explique les enjeux et origines de tels comportements.

Les représentations collectives qui motivent le blanchiment de la peau

Dans les médias comme dans la publicité, les personnes racisées restent fortement sous-représentées. Il est rare que les mannequins permettent l’identification à un corps autre qu’occidental. Ces icônes valorisées sont les références d’une beauté idéale, blanche.

Un référentiel caucasien

De Rihanna à Beyoncé, sans oublier Prince et Michael Jackson : grand nombre de célébrités se sont appliquées à correspondre à ce teint parfait. Au-delà du simple phénomène de mode, il s’agit de la délicate construction identitaire des invisibilisé.e.s, des personnes dont la nuance de peau n’est pas conforme aux normes. Comment exister quand seules les peaux les plus claires peuvent se faire remarquer ?

Les diktats d’une beauté occidentale

Pour se conformer à ces références esthétiques, bon nombre de femmes veulent présenter une peau parfaite. Particulièrement concernées par cette injonction du charme rayonnant, certaines cherchent à atténuer les taches pigmentées de leurs cicatrices, faire disparaître les boutons et uniformiser leur teint.

Pour être jugée plus attirante, il faudrait gommer chaque singularité sortant des normes mondialisées et du culte de la blancheur. Des femmes d’origine africaine se défrisent alors les cheveux. Elles portent des perruques blondes et modifient la couleur de leur peau. Le corps est réduit à une beauté artificielle, un critère de valeur sociale qui ne laisse pas de place à la complexité.

Des stéréotypes enracinés

Nous ne pouvons pas nous prétendre aveugles aux différences de traitement selon la couleur de peau des individu.e.s. Il serait malhonnête d’affirmer ne pas remarquer les discriminations persistantes envers les personnes racisées.

Ces conditions sont alimentées par la transmission d’un inconscient collectif, de préjugés irréfléchis et irrationnels. Encore bien souvent dans les représentations communes, les personnes noires sont fantasmées par le prisme de stéréotypes d’une force physique impulsive, sauvage, voire dangereuse. Or, une telle image produit intuitivement de la peur, du rejet et de la violence.

La peau foncée est alors instinctivement reléguée aux caricatures racistes, que grand nombre s’accordent pourtant à reconnaître inacceptables. Cet aspect structurel de nos rapports sociaux nous concerne tou.te.s. Il impose une déconstruction profonde de nos conceptions. Sans quoi, les corps à la couleur foncée seraient continuellement perçus comme non précieux.

Dépigmentation volontaire : l’illustration d’un colorisme intériorisé

Emploi, logement, éducation, santé… tristement, la couleur de peau détermine le destin des individus. Le milieu socioculturel est lié à la carnation, et sortir de son groupe d’appartenance demande donc d’estomper les différences visibles.

« En dépit de la célébration souvent superficielle de la diversité, il est probable que plus l’apparence d’une personne correspond aux critères de beauté blancs, plus sa position sociale est élevée et, corrélativement, plus les discriminations qui pèsent sur elles sont atténuées. » – Pap N’Diaye, Ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse de France

La reconnaissance et l’intégration imposent à toute une partie de la population une forme d’acculturation, de renoncer ou nier son identité pour fuir les ségrégations. Le constat honnête de cette névrose collective met donc en lumière un complexe d’infériorité, réalité encore trop actuelle. Et les femmes sont particulièrement victimes de cette forme de racisme pernicieux.

Un critère de valeur intracommunautaire

Opprimer quand on est soi-même discriminé étouffe le sentiment d’infériorité. Ainsi, le colorisme infuse jusque dans les diasporas, qui ont intégré la dépréciation dont elles faisaient l’objet.

Pour manifester leur ascension sociale par cette hiérarchie insidieuse des teintes de peau, certains hommes refusent l’idée d’avoir une relation amoureuse avec une femme jugée trop noire. Si certains prétendent qu’il ne s’agit là que de préférences, notons que ce rejet automatique est généralement dicté par de forts a priori. La discrimination s’immisce alors jusque dans la vie intime des individus.

Pour séduire, il faut donc être la plus claire possible. Ce devoir de prendre soin de son apparence est un moyen d’afficher la respectabilité du foyer entier. Les femmes racisées subissent des pressions parfois virulentes pour répondre à des règles de féminité aliénantes.

« J’ai ainsi entendu plusieurs versions d’histoires d’amour entre deux personnes noires prenant fin suite à une injonction familiale relative à une trop grande noirceur, et jamais l’inverse. » – Pap N’Diaye

Un sujet tabou

S’éclaircir le teint n’est donc pas une simple pratique esthétique. Derrière cette démarche, il y a une profonde crise identitaire et une réelle stratégie de survie. Cette nouvelle enveloppe narcissique cherche à fuir la discrimination, accéder à un statut social plus élevé et parvenir à fonder une famille.

Pourtant, les femmes qui ont recours au blanchiment de la peau vivent souvent dans la culpabilité et la honte. Régulièrement, les jugements moralisateurs stigmatisent ces comportements comme s’il s’agissait d’une trahison de son héritage et une falsification lâche sur ses origines. Mais ce que la dépigmentation volontaire révèle, c’est surtout toute la violence de notre société envers une communauté entière !

Les origines de la dépigmentation volontaire

Stigmate post-colonial

La période coloniale est certainement le témoin le plus douloureux de la hiérarchisation des populations. Les corps noirs étaient asservis et les corps blancs dominaient. Les esclaves à la peau la plus sombre travaillaient aux champs, tandis que les personnes qui étaient plus claires avaient le privilège d’être attribué.e.s aux tâches domestiques.

Dans l’excellent podcast « Sauver sa peau », la civilisationniste Maboula Soumahoro explique qu’après l’abolition de l’esclavage, ces représentations ont laissé un traumatisme communautaire très fort. Les noirs au teint pâle ont ensuite conservé leur image d’élite.

Symbole de noblesse

Déjà à l’époque de la Renaissance, la pureté féminine était valorisée par leur pâleur. Au XVIIe siècle, les normes de beauté de la bourgeoisie consistaient à présenter un parfait teint de lait. Pour cela, hommes et femmes se poudraient le visage afin de le blanchir.

Cette pratique permettait de camoufler le manque d’hygiène par d’épaisses couches de maquillage, mais surtout de démontrer sa délicatesse, sa vertu et sa noblesse. Ainsi, la couleur de peau témoignait déjà de la valeur de l’individu et de sa place dans la société.

Découverte de la dépigmentation artificielle

Les premiers agents dépigmentants identifiés furent les dérivés mercuriels. Dans les années 50, la propriété décolorante de l’hydroquinone a été découverte par hasard par des ouvriers noirs. Dérivés d’un usage médical, les corticoïdes en application cutanée ont eux aussi prouvé leur effet blanchissant.

En 2011, une étude de l’OMS révèle que 40 % des Africaines auraient recours à l’un de ces produits éclaircissant pour modifier l’apparence de leur peau. Ces cosmétiques agissent en détruisant et interrompant la fabrication de mélanine dans l’épiderme, tout en pratiquant un gommage.

Les répercussions de l’éclaircissement de la peau

Les dermatologues s’accordent à dire que les effets secondaires des produits éclaircissants sont très préoccupants pour la santé des personnes qui y ont recours. En attaquant le système pigmentaire, ces substances peuvent se montrer particulièrement dangereuses.

Des risques sanitaires non négligeables

L’équilibre épidermique est déstabilisé. Cela provoque alors de nombreuses réactions cutanées : allergies, amincissement des couches de la peau, taches d’hyperpigmentation, vergetures, acné, hyperpilosité, etc. Mais l’incidence de ces cosmétiques n’est pas qu’esthétique, et peut aussi induire diabètes, hypertension artérielle, cancers et autres maladies graves.

Les recettes maison n’arrangent d’ailleurs pas les choses. En additionnant les facteurs de risques de chaque produit, les conséquences peuvent s’avérer encore plus dramatiques. Les injonctions sociales étant fortes, le discours médical préventif et les campagnes de sensibilisation ne suffisent malheureusement pas toujours à éviter de telles pratiques.

Une dépendance psychologique aux produits éclaircissants

Dans l’usage des produits dépigmentants, la décoloration rapide de l’épiderme est souvent recherchée. Pour une efficacité complète, il faut alors appliquer ces crèmes et lotions de manière très régulière, sans jamais cesser l’utilisation. Cet engrenage peut vite s’apparenter à une forme d’addiction, une dépendance psychologique qui impose une consommation particulièrement rigoureuse et exigeante.

L’enjeu est donc de valoriser la beauté saine, en particulier auprès des personnes au phénotype foncé. Mais la connaissance des risques n’est plus toujours suffisante pour stopper l’usage, car les répercussions sont source de trop de craintes. Après un arrêt, même temporaire, le brunissement rapide de la peau peut être vécu comme une régression et engendrer une perte d’estime de soi.

L’alimentation d’un marché illégal

Pour obtenir un teint toujours plus éclatant, de nombreux sérums, laits, lotions, savons et crèmes ont fait leur apparition. Le mélange de ces produits vise à multiplier les actions pour fabriquer la beauté jugée idéale. Problème : en dehors des pharmacies, les normes sanitaires ne sont pas garanties.

Les dosages imposés par la législation française ne sont bien souvent pas respectés. Même si le discours publicitaire des flacons de certains magasins ou salons de coiffure africains se veut rassurant. Ce marché parallèle de cosmétiques éclaircissants prospère donc de manière totalement illégale. Pour se sentir jolies, certaines adoptent de véritables comportements à risque ou vont jusqu’à s’endetter, nourrissant un commerce clandestin particulièrement lucratif.

La dépigmentation volontaire exprime la tentative symbolique de faire peau neuve. Accepter et aimer son corps est rarement simple, dans un contexte où les représentations et pressions collectives se font oppressantes. Pourtant, l’enjeu est celui de la santé physique et mentale de toute une partie de la population mondiale. En toute humilité, mesurer la complexité de ces mécanismes permet de nourrir de bienveillance nos liens sociaux.

 

Sources :

– Ferdinand Ezembe, Ferdinand, « L’enfant africain et ses univers », Karthala, 2009

– Maboula Soumahoro, « Le Triangle et l’Hexagone : Réflexions sur une identité noire », La Découverte, 2020

– Roques, Georges Vigarello, « La fascination de la peau », Communications N°92, janvier 2013

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