Que ce soit Miley Cyrus avec son tube entêtant Flowers ou Shakira avec son nouveau titre énigmatique BZRP Music Session #53, les revenge songs donnent le ton dans la sphère musicale. Les deux chanteuses profitent d’un hit pour régler leur compte avec leurs exs et c’est galvanisant. Ces musiques post-ruptures rythmées par des punchlines rafraîchissantes et des auto-déclarations inspirantes virent les chagrins d’amour à coup de vocalises.
Depuis plusieurs générations, les revenge songs orchestrent nos playlists avec entrain. Mais ces sons addictifs repris sur toutes les lèvres sont-ils si émancipateurs qu’ils le prétendent ? Faire le procès de son ex entre deux instrus peut prendre une consonance féministe, mais aussi malsaine. Les revenge songs ont leur limite.
Revenge songs où la musique comme « défouloir »
En musique, il y a les artistes qui déclarent leur flamme sur fond de « je t’aime » et il y a celles qui déclarent gentiment la guerre à leur ex. Les « Je te promets » et les « s’il suffisait d’aimer » orchestrés par l’amour tirent leur révérence au profit des revenge songs aux couplets plus nerveux et incisifs. Ces musiques post-ruptures, en sourdine depuis plusieurs années, ont été dépoussiérées par Miley Cyrus et Shakira.
Tour à tour, les deux chanteuses pop ont refait le portrait de leur ex à travers des mélodies entraînantes, devenues virales. Ces sons aux allures d’exutoire cicatrisent ainsi les cœurs brisés avec un rare panache. Aux antipodes des hits larmoyants consommés comme des pots de glace après un « au-revoir », les revenge songs sonnent l’heure de la rébellion. Chaque strophe « chantée » s’apparente alors à un uppercut.
Miley Cyrus et Shakira relancent la tendance
Avec son titre Flowers, qui recense déjà 100 millions d’écoutes sur Spotify, Miley Cyrus épingle son ex-mari Liam Hemsworth, avec qui elle a vécu dix ans. Loin de là l’image de la jeune Hannah Montana à la bouille innocente, Flowers révèle une Miley Cyrus prête à piétiner son passé amoureux. Il faut dire que sa relation avec l’acteur de Hunger Games a connu de nombreux sursauts qui ont fait le croustillant de la presse people. L’Australien l’aurait d’ailleurs trompé plusieurs fois, un parfait combustible pour enflammer une revenge song.
Même punition pour le footballeur Gérard Piqué que Shakira attaque frontalement dans sa nouvelle sortie Bzrp Music Sessions, Vol. 53. La colombienne, en couple avec l’ex-défenseur du FC Barcelone pendant 12 ans, y lâche ainsi tout son venin sur le père de ses deux enfants. Elle tire là où ça fait mal, dans l’égo. Plus virulente que Miley Cyrus, Shakira envoie des boulets de canon droit dans la nouvelle idylle de Piqué, par ailleurs peu copain avec la fidélité. Ces compositions foudroyantes érigées en hymne de désamour agitent les charts depuis des années. Et le public mord toujours à l’hameçon.
Un phénomène culturel qui n’a rien de nouveau
Si Shakira et Miley Cyrus battent tous les records d’écoute armées de leur revenge songs, elles ne sont pourtant pas les pionnières du genre. Dans le passé, d’autres icônes de la musique ont pointé le micro sur leur ex, avec moins de poigne, certes, mais avec une franchise décapante.
En 1978, Gloria Gaynor interprétait par exemple I will survive. Avant de se murer entre les gradins des stades de foot, cette chanson reste surtout un symbole puissant d’émancipation féminine. D’une voix rugissante, Gloria Gaynor lève poliment son majeur à un amour déchu et toxique. Pourtant, la fureur de son cri sera feutrée dans une commercialisation excessive.
C’est donc surtout à l’orée des années 2000 que les revenge songs se font vraiment entendre. En 1995, Alanis Morissette lance un premier pavé dans la mare avec son rugueux You Oughta Now. Beyoncé lui emboîte le pas une décennie plus tard en sortant Irreaplacable, un son r’n’b qui clame les louanges de l’amour-propre.
De Billie Eilish à Taylor Swift en passant par l’envoûtante Lana Del Rey, les revenge songs se sont semées comme une traînée de poudre dans la bouche des plus grandes. Cependant, elles ont quelque peu changé de tonalité. Au diapason avec l’ère post-MeToo, les revenge songs paraissent désormais moins superficielles et plus profondes.
Revenge songs, des titres aux accents de libération féminine
Il fut un temps où les peines de cœur se réparaient avec des musiques anémiées et suppliantes à l’instar de Someone Like You ou Ne me quitte pas. Ces chansons portées par des notes de piano mélancoliques abordent la rupture amoureuse comme un fardeau, avec un regard fataliste. Les chansons de rupture « classiques » semblent donc s’écouter à chaudes larmes entre un paquet de chips et un pyjama négligé. À l’inverse, les revenge songs prennent l’allure d’un dissolvant coriace contre les tâches laissées sur le cœur.
Enveloppées dans des instrus dansantes, euphoriques et rapides, les revenge songs pulvérisent le pessimisme qui colle aux ruptures. Elles tendent aussi un miroir sur notre société, désormais plus ferme avec les dérapages masculins. Les revenge songs, sous leur côté divertissant, s’esquissent comme le soft-power de la révolte post-MeToo. Les chanteuses à l’origine de revenge songs dénoncent tout haut les actes répréhensibles vécus tout bas dans leur couple, quitte à rogner sur leur intimité.
Les revenge songs ne sont pas des représailles puériles dictées par la rancune. Ces chansons post-ruptures dénoncent, à leur manière, des comportements « intolérables » trop longtemps mis sur « silencieux ». La musique n’est pas seulement faite pour adoucir les mœurs, elle est aussi là pour libérer des vérités (qui font mal). Les revenge songs ont d’ailleurs une importante fonction cathartique. Ces coups de poing sonores délivrent d’une certaine haine et ouvrent une brèche sur leur passage.
Quand la rivalité féminine s’en mêle, les revenge songs perdent en grade
Toutes les revenge songs ne se valent cependant pas. Certaines d’entre elles l’amputent même de ses valeurs féministes si adulées. C’est le cas notamment du dernier son de Shakira. Au lieu de s’en prendre uniquement au principal fautif, Gérard Piqué, la bombe latine essore aussi son linge sale sur la nouvelle compagne du footballeur. Clara Chia devient la victime collatérale d’une revenge songs. À travers des métaphores au penchant « matérialiste », Shakira rabote la réputation de la jeune femme.
Elle dit notamment « T’as changé ta Ferrari pour une Twingo » ou « T’as changé ta Rolex pour une Casio ». Shakira écrase la copine de son ex pour s’élever sur un piédestal. En bref, elle est prise en flagrant délit de rivalité féminine. Et en comparant les femmes à des voitures ou des montres, elle entretient le mythe qu’elles sont de vulgaires objets, échangeables pour un sou. Un gros bémol donc.
À contrario, Flowers de Miley Cyrus est vraiment dans les cordes de la revenge song féministe et empouvoirant. Cette musique fait une ode à l’indépendance affective, au célibat et à l’amour de soi. C’est la ballade des femmes heureuses.
Les revenge songs réveillent en fanfare une sororité latente. Elles glissent dans les écouteurs le souffle d’un combat livré au féminin. Au lieu d’appréhender les ruptures comme une tare, les revenge songs suggèrent de les surpasser le torse bombé et la tête haute.
