Dans un monde où l’accumulation de richesses est souvent synonyme de pouvoir et de statut, l’histoire de Marlene Engelhorn fait figure d’exception.
Une héritière en rupture
Héritière d’une fortune industrielle colossale, Marlene Engelhorn a choisi de tourner le dos au privilège pour défendre une vision plus égalitaire de la société. En redistribuant 25 millions d’euros de son héritage, elle déclenche un débat de fond sur la justice fiscale, la responsabilité des ultra-riches et l’avenir de la démocratie.
Issue de la famille fondatrice du géant chimique BASF, Marlene Engelhorn aurait en effet pu profiter d’une fortune estimée à plusieurs dizaines de millions d’euros. En 2022, à la mort de sa grand-mère, au lieu de célébrer son nouveau statut d’héritière, elle décide d’agir autrement. « Je n’ai rien fait pour mériter cet argent », affirme-t-elle.
Un constat qui sonne comme une provocation dans les cercles où l’héritage est vu comme un droit naturel. Pour elle, l’héritage perpétue une forme d’injustice systémique : « il donne un avantage démesuré à quelques individus simplement en raison de leur naissance ».
Un geste radical : 25 millions confiés à des citoyens
Loin des dons à des associations choisies à titre personnel, Marlene Engelhorn opte pour une approche participative inédite. Elle confie « ses » 25 millions d’euros à une assemblée citoyenne composée de 50 Autrichiens tirés au sort, représentatifs de la diversité de la population.
Leur mission ? Décider collectivement de l’utilisation de cette somme. Aucun professionnel de la philanthropie ni proche de Marlene n’intervient dans le processus. Elle assume pleinement de s’effacer au profit d’un modèle démocratique. « Ce n’est pas à moi de décider seule ce qui est juste », explique-t-elle
Une militante pour la justice fiscale
Le geste n’est pas qu’individuel ou moral. Il s’inscrit dans un engagement politique plus large. Marlene Engelhorn est aussi la fondatrice du collectif « Tax Me Now », qui milite pour le rétablissement de l’impôt sur les successions en Autriche, aboli en 2008.
Elle dénonce ainsi une concentration de richesses qui menace, selon elle, les fondements de la démocratie. « L’absence de fiscalité sur l’héritage transforme la richesse en pouvoir politique. Elle permet aux plus riches d’influencer la société au détriment de l’intérêt général », martèle-t-elle. En janvier 2025, elle participe aux manifestations à Davos, arborant un sweat-shirt frappé du message : « Tax the Rich ». Une image devenue virale sur les réseaux sociaux.
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Une action qui dérange
Marlene Engelhorn dérange autant qu’elle fascine. Si elle est saluée par les mouvements pour la justice sociale, elle suscite aussi de vives critiques. Certaines personnes l’accusent de populisme, d’autres de trahison de classe. Son geste est perçu, dans les milieux conservateurs, comme « une remise en cause de la liberté individuelle de disposer de son patrimoine ».
Cette polarisation ne semble pas l’ébranler. Au contraire, elle en fait un levier de mobilisation. En 2024, elle publie ainsi « L’Argent. Pouvoir, richesse, injustice », un livre dans lequel elle déconstruit la légitimité de l’accumulation privée et appelle à repenser collectivement le rôle de l’impôt et de la redistribution.
Entre conscience éthique et combat politique
Ce qui frappe dans le parcours de Marlene Engelhorn, c’est le refus du statu quo. À travers sa démarche, elle interroge la notion même de mérite, soulève la question de la responsabilité morale des ultra-riches, et appelle à une transformation structurelle du système fiscal.
Son geste n’est pas une simple charité, mais un positionnement politique assumé : celui d’une femme privilégiée qui refuse de l’être aux dépens des autres. Pour elle, l’argent hérité n’est pas un bien personnel mais un levier collectif.
Un modèle d’avenir ?
Le cas Marlene Engelhorn pourrait bien faire école. Alors que les inégalités de patrimoine atteignent des sommets en Europe comme ailleurs, de plus en plus de jeunes fortunés s’interrogent sur le sens de leur richesse. Le mouvement des « millionnaires pour la justice fiscale » gagne en visibilité, en Allemagne, aux États-Unis ou encore au Royaume-Uni. Toutefois, rares sont les personnes qui vont aussi loin que Marlene Engelhorn.
En redistribuant concrètement l’essentiel de sa fortune et en s’effaçant au profit d’un processus citoyen, Marlene Engelhorn propose ainsi une alternative au modèle dominant de la philanthropie élitiste. Reste à savoir si cette initiative isolée s’inscrira dans un mouvement de fond, ou si elle restera l’exception d’une génération en quête de sens.