Qu’il s’agisse de la peur des conséquences sociales ou de la violence d’un acte médical souvent pratiqué dans la clandestinité, l’avortement avant la légalisation en 1975 en France était un sujet tabou et douloureux. La loi Veil, votée en janvier 1975, a transformé la société française en offrant aux femmes un droit fondamental : celui de disposer de leur corps sans être condamnées. Mais, avant cette avancée législative, l’avortement se pratiquait dans l’ombre, dans des conditions souvent effrayantes. À l’occasion des 50 ans de la loi Veil en janvier 2025, l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) a lancé un projet mémoriel pour recueillir les témoignages de celles qui ont vécu cette époque où, comme le disait Simone Veil, « aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement ».
Un projet mémoriel pour briser le silence
Parmi les témoignages les plus poignants figure celui de Christiane Taubira, l’ancienne garde des Sceaux. Elle se confie sur son propre vécu : un avortement clandestin subi dans sa jeunesse, un moment gravé dans sa mémoire et pourtant longtemps dissimulé, effacé de la narration publique. « On était persuadés que je ne survivrais pas », avoue-t-elle, soulignant la réalité de l’isolement et de la peur qui entouraient ces pratiques illégales. Ce n’était pas qu’une question de décisions personnelles, mais aussi de classe sociale, de situation géographique, et même de chance. Les femmes riches pouvaient en effet se tourner vers des médecins privés, tandis que les plus vulnérables étaient souvent contraintes de recourir à des méthodes dangereuses, comme le curetage à vif ou des remèdes de grand-mère.
Ces témoignages, qui se font entendre pour la première fois à une telle échelle, sont essentiels. L’INA a recueilli 79 récits provenant de femmes de métropole et des Outre-mer. Parmi elles, la doyenne, âgée de 99 ans, a été témoin de ces pratiques dans les années 1940, alors qu’elle travaillait dans une maison d’accouchement. La benjamine, quant à elle, à 70 ans et raconte comment, en tant que lycéenne, elle a dû recourir à un avortement en plein milieu de sa jeunesse, aidée de son compagnon. Ces voix, qui témoignent de la réalité d’un passé douloureux, sont là pour ne pas oublier, pour que l’histoire des femmes ne se perde pas dans les méandres de l’oubli.
Le résultat de cette initiative est ainsi un ensemble poignant et bouleversant de récits, que l’INA diffusera à partir du 21 janvier 2025 sur entretiens.ina.fr dans sa collection « entretiens patrimoniaux ». Ils seront aussi disponibles dans un documentaire (coproduit par France télévisions et diffusé en janvier 2025), un livre (coédité chez Flammarion) et une fiction sonore (5 épisodes). Ces voix de femmes, de faiseuses d’anges, de proches et de professionnel·le·s, révèlent l’histoire d’un combat silencieux et de la résistance des femmes. En voici un extrait, publié par l’INA sur son compte Instagram :
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De l’ombre à la lumière : des récits libérateurs
Les femmes qui témoignent aujourd’hui, y compris des figures publiques comme Christiane Taubira ou l’écrivaine Annie Ernaux, se libèrent d’un poids. Elles soulignent la double peine qu’elles ont subie : d’un côté, l’oppression sociale, de l’autre, la douleur morale et physique d’une intervention pratiquée dans la clandestinité. Pour beaucoup, il s’agissait d’un parcours solitaire, sans soutien, parfois sans informations suffisantes sur les risques et les méthodes.
Annie Ernaux, dans son livre « L’événement », a déjà partagé son expérience intime de l’avortement dans les années 1960. Son récit, qui résonne profondément avec ceux de milliers d’autres femmes de son époque, trouve une résonance particulière aujourd’hui, à une époque où seule la « liberté garantie d’accès à l’avortement » – et non le droit – est inscrite dans la Constitution française.
Pourquoi ces récits sont si importants ?
Ces témoignages sont des balises essentielles pour comprendre l’histoire des droits des femmes et de la société en général. Ils ne sont pas seulement des récits personnels ; ils sont le reflet d’une époque où les femmes luttaient, souvent dans l’ombre, pour leur autonomie. En dévoilant leur expérience, ces femmes de tous horizons apportent à la fois une reconnaissance tardive de leur vécu et une forme de catharsis. Ces récits témoignent de l’évolution des mentalités, mais ils rappellent aussi que tout n’est pas acquis pour autant.
Le projet de l’INA, qui débute le 21 janvier 2025 avec la diffusion des témoignages et des productions associées, prend une dimension particulière dans ce contexte historique. Il s’agit d’un travail de mémoire indispensable, mais aussi d’un héritage pour les générations futures, qui devront continuer à défendre ce droit essentiel.
Avant que ces témoignages ne s’estompent, il est crucial de recueillir les histoires vécues, de consigner l’histoire des femmes qui ont traversé l’obscurité de la clandestinité de l’avortement pour que leurs luttes ne soient jamais oubliées. « Il suffit d’écouter les femmes », comme le disait Simone Veil. Et l’INA le fait avec une voix forte, claire et puissante. Merci !