Entre rébellion et controverses : qu’est-ce que le mouvement « red-pill » ?

Courant masculiniste proche des Incels, le mouvement « red-pill » a réussi à faire parler de lui. Se concentrant sur la notion de masculinité et de développement personnel, la red-pill prétend connaître la vérité. Elle condamne une société qui se conforterait dans l’ignorance et le « politiquement correct ». Entre phrases d’encouragement à la salle de sport, discours misogynes et philosophie néo-nazie, il n’y a qu’un pas pour les redpillers. Décryptage.

Les sources de la red-pill

Le film de science-fiction « Matrix » (sœurs Wachowski, 1999) a marqué toute une génération. C’est grâce à la pilule rouge – la « red pill » en anglais – que Néo, le personnage principal, accède à la vérité en désactivant son esprit. Cette idée d’une dragée colorée permettant la connaissance ultime de l’ordre du monde a par la suite largement inspiré. Le documentaire « The Red Pill » (Cassie Jaye, 2016) participe à la popularisation du terme.

Ils sont 15 000 membres de la communauté sur Reddit, principalement des hommes. Les redpillers se nourrissent donc du concept des deux cinéastes pour expliquer leur façon de voir le monde. S’opposant à ce que les médias ont aimé nommer les « wokes », ces masculinistes ne se considèrent pas moins éclairés. Leurs discours affirment la compréhension des rouages de la société et, par conséquent, ses travers. Au centre du problème : les oppressions subies par les hommes.

La red-pill semble avoir atteint son pic entre 2016 et 2017, après l’élection de Donald Trump comme président des États-Unis. Depuis, de nombreux « modèles » s’expriment sur TikTok et YouTube. Parmi les plus connus, on pense au masculiniste Andrew Tate que Greta Thunberg n’a pas hésité à remettre à sa place sur X (anciennement Twitter).

Un courant de pensée principalement misogyne

Globalement, la philosophie red-pill nie l’injustice et la violence subies par les femmes. La rhétorique repose sur des observations biologiques. Les femmes cis et les hommes cis sont « naturellement » différents, ce qui justifierait la place au foyer des premières pendant que les seconds travailleraient. Des observations qui, pour autant, ne légitiment pas les inégalités actuelles.

C’est l’article de blog intitulé « The Misandry Bubble » datant de 2010 qui sert de manifeste red-pill. On peut y lire des affirmations masculinistes diverses : « Le monde occidental est tranquillement devenu une civilisation qui sous-estime les hommes et sous-estime les femmes ». Dedans, des déclarations appelant donc les redpillers à se considérer tels des résistants dans une société accordant trop de droits aux individus du genre féminin.

Et xénophobe

Comme si ce n’était pas assez, les redpillers flirtent aisément avec des idées d’extrême-droite aux accents fascistes. Dans son livre dédié au sujet « Not all Dead White Men, Classics and Misogyny in the Digital Age », Donna Zuckerberg les présente ainsi : « Ils sont plus jeunes que la moyenne des conservateurs, blancs et de sexe masculin. Ils sont antisémites homophobes transphobes. Certains se décrivent comme néo-nazis. »

En octobre 2023, le média Vice récoltait plusieurs témoignages d’anciens membres de forums red-pill. Plusieurs d’entre eux racontent le racisme ambiant dans les discours. Vincent, étudiant de 26 ans, expliquait : « Les gens (…) partageaient plein de mèmes sur les réfugié.e.s syrien.ne.s arrivé.e.s en Europe vers 2015. Si tu vois défiler des images de migrant.e.s avec des légendes qui parlent ‘d’invasion’ tous les jours, et que tu continues à suivre l’actualité à ce sujet, tôt ou tard tu vas commencer à croire qu’une énorme épidémie se dirige vers toi ».

Quand les redpillers se dressent contre le « politiquement correct », la réflexion ne semble pas tout à fait s’inscrire dans une réelle volonté de préservation de la liberté d’expression. En effet, il a régulièrement été observé que les outragé.e.s de la soi-disant censure aimeraient davantage pouvoir dire des atrocités xénophobes sans être inquiété.e.s plutôt que de sauver un droit fragile. Donc, la liberté d’expression, mais pour qui ?

Le paradoxe du développement personnel red-pill

Si la mouvance red-pill inquiète, elle reste un spectre. D’une part, des idées politiques nauséabondes, de l’autre, des hommes cherchant à « devenir la meilleure version d’eux-mêmes ». De prime abord, la poignée d’hommes faisant du sport et cherchant à se développer personnellement n’a pas l’air si problématique. Pourtant, l’objectif ultime reste toujours centré sur l’attention féminine.

Ce pan « bien dans sa peau, bien dans sa tête » du mouvement red-pill a un nom. Entre eux, ils s’appellent les Alphas – ou travaillent à gagner cette dénomination. Alimentation saine, affirmations positives, soutien… mais pour quoi ? « On dirait que la red-pill prend généralement l’idée d’alpha du point de vue de l’artiste de la drague et va dans une direction extrême avec elle »explique un coach. « Évidemment, il n’y a rien de mal à motiver les gars à devenir de ‘meilleurs’ hommes, mais la red-pill semble le faire d’une manière agressive et contradictoire ».

Paradoxal, donc, de parler d’émancipation du soi-disant joug féminin quand l’objectif est de vouloir à tout prix en séduire les membres. La source de cette réflexion résonnerait également avec un complexe d’infériorité. « J’ai moi-même été submergé sous un flot de théories comme quoi seul un petit groupe d’hommes aurait accès à toutes les femmes, et qu’il ne resterait rien pour les autres. De ton côté tu commences à penser ‘Merde, est-ce qu’il y en aura quand même une pour moi ?’ Tu te mets à considérer les femmes comme une sorte de produit rare et convoité, un puzzle à résoudre dans l’unique but d’obtenir des relations sexuelles, au lieu de les voir comme des individus avec des sentiments, des désirs et des rêves », témoignait Leon.

On croise régulièrement des profils similaires. Souvent, des hommes ayant vécu des déceptions amoureuses avec des femmes ou ayant connu peu de succès auprès d’elles. Tant de « nice guys » pour qui l’autre est le problème trouvant refuge dans le mouvement red-pill.

Un mouvement qui séduit ?

La red-pill en elle-même connaît surtout la renommée sur Reddit. Elle n’a pas l’air de particulièrement trouver de racines dans le monde concret. Cependant, des attentats ont déjà revendiqué des idées similaires. Nous pouvons notamment penser à l’attaque à la voiture-bélier à Toronto le 23 avril 2018. Le tueur, membre d’un forum d’Incels, avait déclaré vouloir tuer le plus de « Chad » et de « Stacy » possible. Les Chad et les Stacy étant, selon la philosophie de ces « Célibataires Involontaires », les personnes les plus séduisantes.

Impossible, donc, de parler d’activisme quand la philosophie implique l’oppression d’autres membres de la société. Une activiste féministe commentait : « Là où les féministes disent ‘ok, les hommes vous avez assez de droits, laissez les femmes rattraper leur retard’, la red-pill dit ‘hé les femmes, vous avez trop de droits et nous devons vous en enlever’ ». Quand le féminisme veut inclure, la redpill cherche à exclure.

Ce qui inquiète cependant, c’est la fragilité des jeunes garçons se construisant. À la recherche de réponses sur eux-mêmes et leur rapport aux filles, ils sont des proies faciles pour les idées du mouvement red-pill.

Qui est la « red-pill woman », cette femme parfaite ?

Red-pill, Incels, alt-right, dirtbag left… tant de communautés qui se rejoignent autour d’idées de droite. Et si celles-ci rassemblent davantage d’hommes, notons malgré tout que 1 500 femmes sont membres du mouvement Red-Pill Women.

Sous une allure chic, propre et épurée, la « trad wife » – « l’épouse traditionnelle » en français – vente les mérites de la vie de femme dévouée. Sur TikTok, l’esthétique plaît et d’innombrables vidéos de parfaites petites épouses étasuniennes à cheval sur le ménage et les repas voient le jour. Difficile de cerner le danger dans leur quotidien reluisant. C’est leur aspect inoffensif qui permet alors de camoufler les idées d’extrême-droite qu’elles représentent. Ouvertement anti-féministes, elles s’appliquent à être des compagnes dociles et à tuer leur « inner bitch » – leur « salope intérieure » en français. Le souci n’étant pas qu’elles soient dévouées à leur foyer et leur famille, mais qu’elles soient une vitrine pour des philosophies xénophobes.

Aisées, elles donnent une impression de pouvoir à quiconque s’aventurerait du côté de leurs vlogs. « Ces femmes (…) sont sûrement plus marginalisées que si elles faisaient partie de communauté davantage ‘de gauche’. Mais elles préfèrent avoir leurs privilèges retirés par des hommes au-dessus d’elles plutôt que par des gens qui ont les mêmes privilèges qu’elles. Je suppose qu’elles préfèrent avoir un peu de pouvoir plutôt que pas du tout », commentaient Ione et Gina de Polyester. Les deux hôtes du podcast relevaient : « Les jeunes femmes voyant ces modes de vie sous le prisme de l’esthétique peuvent facilement être endoctrinées ». Ce qui inquiète, donc, c’est la puissance de l’influence des trends et de ce qu’elles peuvent cacher.

La red-pill propose une « vérité » reposant sur des principes égocentriques. Une société patriarcale où l’individualisme est justifié donne des clés de compréhension concernant la façon dont cette philosophie se répand. Pourtant, la communauté est vaste. Du mâle Alpha mal dans sa peau au misogyne néo-nazi en passant par l’épouse docile, la red-pill se vend tel un mouvement de rébellion face à la « terreur féministe ».

Faustine Moulin
Faustine Moulin
Formée en radio, j'ai fait mes classes à base de chroniques et interviews concernant la scène musicale et autres sujets plus niches les uns que les autres. Rédactrice passionnée et extravertie qui aime rentrer chez elle à la fin de la journée, je cherche l'intérêt dans tous les sujets.
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