Les sirènes icônes féministes ? Découvrez leurs symboliques au-delà de la surface

Depuis que le film en live-action « La Petite Sirène » a éclaboussé les écrans des salles obscures, cette créature mi-femme, mi-poisson baigne dans les emblèmes féministes. Présagée comme la « nouvelle sorcière », la sirène a traversé bien des eaux troubles avant de devenir une figure féminine inspirante. À l’origine, ces naïades parsemées d’écailles étaient plus appréhendées comme des monstres que des divinités. Si aujourd’hui toutes les fillettes rêvent de prendre cette apparence amphibie pour mimer leur idole Ariel, ça n’a pas toujours été le cas. De son rôle mythologique ténébreux à son allusion militante actuelle, voici comment les sirènes sont passées de menaces aquatiques à icônes féministes. Plongée imminente dans leur symbolique à travers les âges.

Les sirènes, une réputation mythologique peu glorieuse

À l’évocation des sirènes, l’image d’Ariel accourt immédiatement dans les esprits. Mais avant d’occuper la première place du conte de Christian Hans Andersen et de prendre l’étoffe d’une princesse Disney, la sirène a essuyé de nombreux statuts. Les sirènes originelles étaient d’ailleurs à l’opposé polaire de cette protagoniste à la chevelure flamboyante et à la queue azur.

Contrairement à la candide Ariel qui chahute la vague naïvement, ces créatures hybrides avaient pour vocation d’effrayer les marins. Selon le poème épique d’Homère L’Odyssée qui tire un portrait assez clair des sirènes, elles étaient à la frontière de la femme et de l’oiseau. Elles utilisaient leur voix comme un instrument de « charme » pour envoûter les hommes du large et les retrancher dans la mort. Une arme vocale ultime, qui s’est hissée en dénominateur commun des sirènes d’hier et d’aujourd’hui.

L’incarnation des peurs masculines

À leur prémisse, les sirènes n’avaient donc pas vraiment d’attache avec la mer. Elles étaient plutôt à la recherche de proies à se mettre sous la dent. Mais outre leur soif de chair, les sirènes ancestrales mobilisent également des clichés criants sur la femme « pécheresse ». Malgré leur allure surnaturelle, elles font écho à des croyances réelles qui prétendent que les femmes sont des tentatrices et des êtres démoniaques. Ces mythes ne sont pas seulement conçus pour semer la terreur, ils servent aussi à discréditer les femmes. Ils induisent que ce sont des manipulatrices affûtées et qu’elles poussent les hommes à l’égarement.

Les sirènes n’étaient d’ailleurs pas les seules à alimenter cet imaginaire grossier. De nombreuses autres chimères mythologiques s’épanouissaient dans le corps des femmes. Qu’il s’agisse des gorgones et leur crinière ornée de serpents ou des furies, créatures ailées aux pieds crochus et au regard sanguinaire, les pires cauchemars de l’époque portaient le pronom féminin. Ce n’est pas un hasard si les sirènes, étendards des angoisses masculines, s’érigent désormais en icônes féministes.

Une créature féminine imposante défigurée par le patriarcat

Avec le temps et les années, les sirènes se sont fait prendre dans les filets du patriarcat. Pas question de laisser une femme dicter sa loi sur l’océan et intimider ces messieurs. Les sirènes, elles aussi, ont été remodelées pour coller avec cette satire de la femme « asservie » et « naïve ». Et toute la faute incombe à ce cher Christian Hans Andersen, l’écrivain qui a perverti tous les traits de la sirène. Celle qui faisait régner la terreur et trembler les hommes s’entiche alors d’un apparat de fille raisonnable, muette et sensuelle.

Dans ce conte emblématique, Ariel en vient même à sacrifier sa voix pour suivre son prince dans le monde terrestre. Un revirement qui est tout sauf anodin puisqu’il perpétue l’idée du « sois belle et tais-toi ». Au-delà de ce « silence imposé », Ariel irrigue cette théorie de la femme crédule et peu dégourdie. Représentée dans une silhouette volontairement désirable et des enluminures « sexy », elle est seulement réduite à un physique avantageux. Et à l’inverse de ces ancêtres qui chassaient les hommes, Ariel ne peut pas s’épanouir sans eux.

De menace imparable à fille vulnérable

Elle est prête à renoncer à son don le plus cher, son seul outil de supériorité pour une histoire de cœur avec un mortel. Elle troque sa queue contre des jambes, à la seule condition de perdre ce qui fait toute sa force. Cette interversion ruisselle d’ailleurs de sous-entendus. Pour suivre son idéal, la sirène doit se soumettre à l’homme et abandonner toute tentative de contrôle. Une fois dépossédée de son pouvoir d’enchantement, la sirène n’est plus qu’une vulgaire muse, dévorée du regard pour sa beauté.

La sirène, limitée au surnom restrictif « petite », renie également sa queue, un organe particulièrement riche de sens. Sa forme phallique renvoie de façon subliminale au chibre de ces messieurs. Dans l’intimité, elle est le « propre » de l’homme et se dresse en totem de virilité. Cette queue est donc plus qu’un simple « véhicule », elle renferme une connotation sexuelle très forte. La pop culture s’est aussi attelée à amortir le caractère redoutable des sirènes, alors reléguées en « curiosités » aguicheuses.

Les sirènes modernes, quel lien avec les luttes féministes ?

Tout comme les sorcières qui étaient persécutées et jetées sur le bûcher, les sirènes commencent à prendre leur revanche en sillonnant la vague féministe. Ces figures qui ont défié, à leur manière, la domination masculine, trouvent une résonance dans les combats actuels. Elles retranscrivent toutes les exactions infligées aux femmes qui font « trop de bruit » ou qui prennent « trop de place ».

Mais alors que la sorcière est en réalité une « guérisseuse » aux pratiques holistiques, sa cousine aquatique, la sirène, pose question sur ses intentions. Dans le folklore, les sirènes évoquent la haine des hommes et la vengeance. Une mentalité peu compatible avec les véritables revendications féministes qui prônent l’unité des genres et non pas la guerre des sexes. Toutefois, les sirènes sont probablement nées sous les mains des hommes dans le but de décrédibiliser les femmes et de leur attribuer le mauvais rôle. Elles ont donc surtout été inventées pour nourrir une méfiance à l’égard de la gent féminine.

Les sirènes renaissent sous une forme plus engagée

Mais cette interprétation archaïque des sirènes a été rincée au karcher, grâce à de savantes relectures féministes. C’est le cas notamment dans le live-action « La Petite Sirène » qui, malgré les innombrables polémiques, accorde à Ariel plus de répartie et de fermeté. Esquissée en sirène indépendante, elle prend son leadership à bras le corps. Une vision nettoyée de toutes pensées machistes qui façonne un rôle modèle plus juste pour les enfants.

En parallèle de cette création retentissante, d’autres œuvres plus discrètes, mais pas moins louables ont aussi lavé l’honneur des sirènes en leur attribuant des valeurs féministes. La série « Une île » diffusée sur Arte, notamment. Portée par Laetitia Casta, elle dépeint une sirène aux convictions affirmées qui œuvre subtilement pour le droit des femmes.

Si les sirènes ont longtemps vécu dans la rétention de fausses vérités, aujourd’hui, elles répondent plutôt bien au titre d’icônes féministes. Ces créatures, aussi fascinantes qu’insaisissables, quittent doucement la mer pour s’accrocher aux emblèmes du féminisme.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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