Payer un inconnu pour vous raccompagner : l’appli qui indigne les femmes

Présentée comme le « Uber » de la sécurité privée, cette application met à disposition des agents de sécurité pour que les femmes ne bravent pas la nuit menaçante seules. Problème : pour profiter de ces « gardes du corps » attitrés, il faut mettre la main au portefeuille. Même si l’idée part d’une bonne attention, les principales concernées regrettent que l’appli capitalise sur la peur et entretienne un fléau au lieu de le résorber.

Une application très mal accueillie par les femmes

Selon une étude de l’ONDRP, plus d’un quart des femmes renoncent à sortir seules de chez elles une fois la nuit tombée. Les autres, qui battent le pavé sous des lampadaires fébriles et qui ont les sens en mode radar, sortent la boule fermement accrochée au ventre. Elles craignent de faire une mauvaise rencontre en chemin et de finir dans un sombre fait divers. Dans l’espace public, milieu hostile pour la gent féminine, la peur ne les quitte jamais. Alors pour que les femmes puissent continuer à faire la fête jusqu’au petit matin sans redouter le retour à la maison, une application nommée « Safty » est née.

En une poignée de clics, les femmes peuvent se faire escorter jusqu’à chez elles comme les stars avec leur bodyguard. Pour bénéficier de cette sécurité rapprochée, elles doivent débourser un peu d’argent : un euro la minute. Le fondateur de l’application parle « d’un service de co-piétonnage« . Pour beaucoup de femmes, cette initiative est une aberration, voire une invention de « clown ».

Elle ne résout pas le problème, elle le fait perdurer. Si certaines personnes y voient une aide bienvenue voire un acte héroïque, les principales concernées, elles, rient jaune et voient rouge. « Monétiser le danger quoi ». « Des mecs se font du pognon sur la détresse des femmes, classe ». « Payer des hommes pour qu’ils nous protègent des hommes… vaste blague ». « C’est forcément une vanne, ça ne peut pas être vrai », rajoute la créatrice de contenu du compte @abregesoeur. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, ces chevaliers servants nouvelle génération « sauvent » les femmes d’un danger qu’ils ont créé de toute pièce il y a bien longtemps. Ils se targuent de les secourir alors qu’ils sont la raison pour laquelle les femmes déclinent des soirées et se calfeutrent chez elles.

 

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« Jusqu’au jour où le mec de la sécu sera l’agresseur »

Le fondateur de « Safly » ambitionne de devenir le « Uber de la sécurité privée ». Sauf que l’entreprise de VTC n’est pas la meilleure référence. Entre celles qui se sont retrouvées séquestrées dans l’habitacle du véhicule et celles qui ont subi du harcèlement de la bouche du chauffeur, Uber a largement perdu en crédibilité.

Même si l’appli assure que les agents sont agréés, formés et vérifiés, le badge ne fait pas l’homme. L’uniforme n’est qu’une façade. La preuve en est puisque même ceux qui appartiennent aux « forces de l’ordre » profitent de leur grade pour agresser, violer, harceler. À Rennes, le procès d’un gendarme accusé de sept agressions s’est d’ailleurs récemment ouvert. Ce qui crispe d’autant plus les femmes.

Comment avoir la certitude que cet homme, rémunéré pour jouer les « Batman », ne se retournera pas contre elle ? Comment faire confiance à un inconnu alors même que les femmes accélèrent le pas, simulent des appels et forment un poing américain avec leur clé quand elles les croisent ? « On peut choisir notre agresseur directement via votre application du coup ? », « Jusqu’au jour où le mec de la sécu sera l’agresseur », « Comment savoir si les ‘vigiles’ sont safe ? », « Ok il tient à son taff, demain il te raccompagne, il connaît ton adresse, te suit de temps en temps, t’enlève, dans cinq mois personne n’aura un doute sur lui », écrivent certaines femmes.

Capitaliser sur la peur au lieu de la calmer

« Safly » n’est pas un service rendu, mais une forme de marchandage. On impose aux femmes l’idée que leur liberté de circuler la nuit a un prix. Ce sont des hommes qui encaissent, des hommes qui fixent le tarif de leur sécurité, des hommes qui se présentent en sauveurs alors que leurs pairs sont les principaux auteurs des violences. L’application tire parti de la peur des femmes au même titre que les marques qui font du business autour des gadgets d’auto-défense.

Un tel dispositif ajoute une humiliation supplémentaire à la première. Alors que la rue est supposée appartenir à tout le monde, les femmes sont sommées de payer pour y déambuler comme alors que les hommes, eux, y font leur loi et en sont les rois. Même si sur le papier, l’application semble avoir son utilité, en réalité, elle confirme le règne des hommes dans l’espace public. En plus de raser les murs, de se faire discrètes sous des sweats épais et de au moindre bruit suspect, les femmes payent des hommes en échange de leur tranquillité.

Ces applis vraiment utiles à avoir en poche

Avec « Safly », assurer ses arrières est presque un luxe. L’application renforce de vieux schémas : les hommes sont les sauveurs tandis que les femmes restent cloisonnées dans leur rôle de « victime sans défense ». Or, les femmes n’ont pas à puiser dans leur tirelire pour une liberté fondamentale ni à payer l’addition du patriarcat. D’ailleurs, pourquoi payer ce service quand on peut profiter d’applications gratuites, créées par des femmes pour les femmes ?

« Safly » arrive un peu tard, notent diverses femmes. Elle a de sérieux concurrents, qui ne font pas du business sur la plus grande hantise des femmes, mais qui leur tendent une main solidairement. Et elles sont bien ancrées dans le téléphone de ces mesdames. C’est le cas de « Sorority« , une application basée sur l’entraide reconnue par les autorités françaises. Les utilisatrices qui se sentent en danger peuvent lancer une alerte et les autres qui sont géographiquement proches peuvent intervenir. Finalement, dans ces situations critiques, ce sont les femmes qui portent mieux la « cape ».

Les femmes se sentiront-elles vraiment plus sereines avec un homme qu’elles ne connaissent ni d’Adam ni d’Ève à leur côté ? Pas sûr. Au lieu de créer des applications qui enrichissent les hommes et discréditent les femmes, il serait peut-être temps de revoir l’éducation des hommes ?

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.

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