Violences sexuelles en EHPAD : un phénomène glaçant encore tabou

Le 19 décembre 2022, Mediapart publiait une enquête choc dans laquelle le média soulève le gros tabou autour des violences sexuelles en EHPAD. En prenant leurs sources de témoignages de famille, de salarié.e.s et de syndicalistes, les journalistes Sophie Boutboul et Leila Minano dénoncent la gravité et l’inaction qui englobent ce problème de société.

L’enquête, point de départ et révélations

L’enquête prend son départ dans l’affaire de Denise P. Cette femme, âgée de 93 ans résidait dans EHPAD de Montrevel-en-Bresse (région Auvergne-Rhône-Alpes) lorsqu’elle y a été retrouvée inconsciente, le visage en sang et avec sa protection hygiénique abaissée. L’analyse du légiste est accablante : la femme présente un traumatisme facial avec une fracture ainsi que tous les signes d’une agression sexuelle.

Les journalistes Sophie Boutboul et Leila Minano décident alors d’enquêter sur cette affaire. Partant de là, elles ont retrouvé des centaines d’autres victimes depuis 2013. Elles ont révélé ainsi qu’il ne s’agit que de « la partie émergée de l’iceberg ».

Pour étayer l’enquête, elles ont divisé leur article en deux parties. La première a été publiée le 19 décembre 2022 « Violences sexuelles : en EHPAD, les femmes vulnérables sont des proies ». La seconde date du 22 décembre : « Les femmes âgées sont la dernière roue du carrosse des politiques publiques ».

Le ministère des Solidarités considère que le chiffre réel des violences sexuelles en EHPAD pourrait être « monstrueux ». Pierre Czernichow, président de l’association Alma (numéro d’appel contre les maltraitances : 3977) explique en ce sens pour Médiapart :

« Il y a un impensé sur les violences sexuelles chez les personnes âgées »

Violences sexuelles en EHPAD : un crime facile à cacher

Si ces violences sexuelles en EHPAD sont méconnues, c’est, d’une part, parce qu’elles sont taboues, d’autre part parce que ce sont des méfaits faciles à cacher.

1 – Des femmes âgées

Dans la mesure où les résidentes d’EHPAD sont assez âgées, il n’est pas rare de voir leur décès survenir peu de temps après l’agression. Cela tient généralement du traumatisme psychique et physique. À titre d’exemple, les viols et agressions subis par Denise ont causé « un déficit fonctionnel temporaire total de 100 % (…), des séquelles immédiates engendrées sur le plan neurologique et psychique et une aggravation de la perte d’autonomie ». En somme, elle s’est laissée mourir dans l’année qui a suivi.

Aussi, leur âge avancé et la lenteur du système judiciaire sont des obstacles à l’obtention de la justice. Il est possible que les victimes décèdent avant le procès. Et quand bien même elles sont encore en vie, leur état de santé les empêche de se rendre à l’audience pour témoigner. L’article de Médiapart fait référence à une étude américaine réalisée sur une vingtaine de dossiers. On y constate que plus de la moitié des victimes décèdent dans l’année suivant les violences sexuelles dans l’EHPAD.

2 – Des victimes souffrant d’incapacité

Au-delà de l’âge, les agresseurs choisissent des victimes présentant des troubles cognitifs. Le criminologue Julien Chopin, cité dans l’article de Médiapart, explique :

« En majorité, ces victimes de violences sexuelles sont des femmes – 98 % – ayant des troubles cognitifs, des handicaps physiques et psychologiques, comme Alzheimer »

Par ailleurs, le flagrant délit révèle la majeure partie des affaires. Les victimes étant rendues muettes ou inconscientes par leur pathologie ou par le choc, elles ne prennent pas la parole. Elles sont vulnérables et n’arrivent pas à témoigner, Carine Durrieu Diebolt complète :

« Ce sont des femmes tenues au silence de par leur état de santé, certaines ne peuvent pas se souvenir »

3 – Des patientes qui ne peuvent pas parler

Enfin, les victimes sont désignées, car souvent isolées. La plupart d’entre elles sont veuves et reçoivent peu de famille, cela crée des difficultés à communiquer. Alors que les violences sexuelles sont déjà très peu déclarées en général, elles le sont encore moins en EHPAD. Qui plus est, les victimes appartiennent à une génération qui pose un plus grand tabou encore sur ces agressions.

« Étant donné l’âge moyen des résident.e.s en EHPAD (82 ans), leur état de dépendance (80 % sont atteint.e.s de troubles de la cohérence et 40 % de maladies neurodégénératives) et les lenteurs de la justice, rares sont les résident.e.s à obtenir justice avant leur mort », résume l’enquête Médiapart

Des viols commis par le personnel

Les chiffres révélés par les deux journalistes Sophie Boutboul et Leila Minano sont clairs :

« 46 % des viols et agressions sexuelles médiatisées ont été commis par des membres du personnel de l’EHPAD »

Ensuite, ce sont des résidents des EHPAD qui commettent ces violences sexuelles. Enfin dans une plus petite mesure, des personnes extérieures à l’établissement (famille incluse) sont les coupables. Interrogé, Pierre Czernichow, rappelle que les individu.e.s avec des antécédents de violences, notamment sexuelles, ne sont pas autorisé.e.s par la loi à travailler dans des établissements médico-sociaux. Or, les vérifications ne sont pas toujours appliquées.

Le criminologue Julien Chopin nous apprend qu’en réalité, l’âge n’est pas un facteur déterminant dans le choix des victimes. Il explique que certains des agresseurs en EHPAD ont déjà été mis en cause dans des affaires de pédocriminalité. En vérité, ce sont la vulnérabilité et l’accessibilité qui les attirent.

Le cas des résidents agresseurs

Ce cas soulève des problématiques délicates. D’abord, les résident.e.s d’EHPAD montrent de plus en plus de troubles cognitifs. Cela peut se manifester par des déambulations au cours desquels un.e patient.e peut entrer dans une chambre et avoir des gestes à caractère sexuel. La question qui se pose est celle de la responsabilité d’un.e résident.e qui souffre d’une déficience cognitive.

Pierre Czernichow raconte recevoir de nombreux appels de responsables d’établissement ne sachant que faire. S’il est possible d’isoler la personne dans une unité spéciale dans les grands établissements, les petites structures n’ont pas les mêmes moyens. Ces dernières sont clairement en manque d’effectif ce qui les empêche d’assurer une surveillance constante.

« Les personnes ayant un passé criminel en matière de violences sexuelles vieillissent comme tous les autres. Et lorsque ces individus ne sont pas en détention, ils sont susceptibles d’être accueillis en EHPAD. Nous ne pouvons exclure qu’une partie d’entre eux puisse récidiver en présence d’opportunités », explique Julien Chopin

Une fois de plus, les syndicalistes accusent le manque d’effectif pour pallier cette problématique. Le personnel peine à prendre en charge décemment les résident.e.s en à s’assurer de la sécurité de tou.te.s. Le ministère des Solidarités nie cette dénonciation et affirme surtout qu’il est indécent d’isoler les agresseurs et violeurs supposés. Selon lui, « il ne s’agit pas de surveiller tout le temps, les enfermer serait une atteinte à leur liberté, mais d’envisager des traitements comme la castration chimique ». Celle-ci ne peut être ordonnée que par un.e médecin dans le cadre d’injonctions de soins prononcées par un tribunal.

Des crimes cachés au sein des établissements

Nous introduisons cet article par la citation de « face cachée de l’iceberg ». Pourtant, le personnel des EHPAD opèrent de nombreux signalements de violences sexuelles. L’enquête Mediapart révèle alors que l’on cache et ignore ces exactions ou bien que les instructions mènent à des non-lieux.

Récemment, la directrice d’une EHPAD de la Creuse était jugée pour non-dénonciation de crime et non-dénonciation de mauvais traitements, privations, agressions ou atteintes sexuelles infligées à une personne vulnérable. Elle aurait en effet ignoré le signalement du viol d’une résidente souffrant d’Alzheimer le 7 avril 2019, par un autre pensionnaire de l’établissement. L’enquête a révélé que de nombreux signalements pour agressions sexuelles avaient déjà visé la même résidente. La victime aujourd’hui décédée, l’instruction avait été clôturée pour non-lieu. Pour obtenir une forme de justice, la famille a néanmoins décidé de poursuivre la directrice.

« On est là pour protéger les résident.e.s. Ce n’est pas une zone de non-droit, un EHPAD. Une agression sexuelle dans la rue, on la dénonce. Et ça doit être exactement pareil dans un EHPAD », s’indigne Nathalie Teste, secrétaire CGT Santé de la Creuse

Les témoignages montrent un travail d’orfèvre pour passer ces faits sous le silence. Comme dans le cas de Denise P. il n’est pas rare de voir par exemple que le ménage est vite exercé dans la pièce après les méfaits (ou avant la venue de la police). De la même manière, les familles n’apprennent les faits que sur le tard, parfois des semaines après. Les responsables minimisent l’agression au possible, de même que les membres du personnel. L’article de Médiapart montre que les membres du personnel en parlent bien souvent entre elle.ux sans pour autant faire remonter l’information. Il cite une aide-soignante interrogée :

« Pour beaucoup malheureusement, c’est comme si ça n’était pas si grave, parce qu’il s’agit de personnes en fin de vie, qui n’ont pas toute leur tête »

De plus, la peur des représailles est prégnante pour le personnel des EHPAD. La crainte générale de parler domine, de même que la peur des conséquences tenues par la direction (contrat non renouvelé notamment).

Des crimes mal jugés

1 – Un encadrement légal clair

Enfin, le dernier pilier inhérent au tabou des violences sexuelles en EHPAD tient de son ignorance par les pouvoirs publics. L’enquête montre que dans les cas de réponses de la part des administrations, « les procédures légales de signalement prévues par la loi du 30 décembre 2015 ne sont pas appliquées ».

La loi prévoit que : « quiconque ayant connaissance de mauvais traitements, d’agressions ou d’atteintes sexuelles infligés (…) à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique doit en informer les autorités judiciaires ou administratives ». La non-dénonciation est passible de trois ans de prison et de 45 000 euros d’amende.

Néanmoins, un manquement de la loi détonne. Des procédures claires existent pour les violences sexuelles commises sur les enfants et les adultes, mais aucune pour les personnes âgées.

2 – Un manque de réaction de la part des administrations

Sophie Boutboul et Leila Minano constatent que ces dix dernières années, d’innombrables alertes sont restées sans suite. Les accusations ont beau être arrivées jusqu’aux administrations de tutelle (ARS et départements), et à l’État, aux ministères, elles sont restées sans réponse.

D’après les chiffres de l’association Alma, les ARS et la justice ne sont pas souvent saisies. Quand elles sont, elles ne sont pas très réactives selon Pierre Czernichow. Mediapart a donc voulu comprendre comment les ARS traitent ces alertes violences sexuelles en EHPAD. Les journalistes se sont adressées à l’ARS Île-de-France qui affirme avoir été interpellée pour 66 suspicions entre le 1er septembre et le 24 octobre. Parmi elles, seules trois ont déclenché une enquête interne suivie d’un dépôt de plainte et d’une suspension provisoire. L’ARS ne répond pas concernant les 63 autres alertes.

Un début de réaction des pouvoirs publics

Le ministère des Solidarités affirme qu’un « dispositif d’action » arrivera courant janvier 2023 ciblant notamment les femmes âgées isolées, vulnérables et exposées aux violences. Également, il promet la formation du personnel au repérage des situations de potentielles maltraitances.

De plus, le parti majoritaire a déposé une proposition de loi le 15 décembre 2022. Elle veut encadrer le « bien vieillir » au travers de plusieurs mesures dont la lutte contre les maltraitances. En effet, avant même la dénonciation violences sexuelles en EHPAD de Médiapart, la sphère numérique se levait déjà contre les agressions du personnel à l’encontre des résident.e.s. Cette proposition de loi ne fait pour le moment pas de référence aux violences sexuelles.

Cette enquête de Médiapart a révélé des comportements abjects légitimés par le tabou et le manque de compétences des autorités. Bien qu’elle soit choquante, elle est nécessaire. Il fallait qu’une main lève le voile sur la gravité des violences sexuelles dans les EHPAD.

Vous pouvez en découvrir l’intégralité sur le site de Mediapart.

Charlotte Vrignaud
Charlotte Vrignaud
En tant que journaliste spécialisée dans les médias et la culture, mon quotidien est une aventure passionnante au cœur de l'évolution culturelle et médiatique de notre époque. Mon rôle consiste à décrypter et à partager les tendances émergentes, les innovations et les récits captivants qui façonnent notre société.
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