La marinière : l’histoire fascinante d’un vêtement devenu incontournable

La marinière, pièce mode iconique aux accents iodés, souffle sur les vestiaires depuis plusieurs décennies. Ce maillot de corps à rayures indigo n’a cessé de bercer les tendances. Rafraîchi par les grandes maisons sous des angles oversize ou fantaisie, il a su résister aux vents et marées de la fashion-sphère.

Mais avant de devenir la signature emblématique de Jean-Paul Gaultier et de se hisser sur les podiums les plus prestigieux, la marinière est passée par plusieurs rangs, de la prison à l’armée. Ce tricot, qui fait le sel des looks sûrs et basiques, garde entre ses lignes une histoire trépidante. La marinière fait partie de ces vêtements de « mémoire ». Et il est grand temps de la percer à jour.

La marinière : d’uniforme à pièce protégée des grandes maisons

En 1916, Coco Chanel ancre la marinière dans les dressings et propulse ce basique sur tous les dos. Une vague de marinières s’abat alors sur la scène mode aux confluences du style masculin et balnéaire. Il n’en fallait pas plus pour inscrire ce haut côtelé dans le livre d’or des intemporels. Pourtant, même si la créatrice a largement influencé le succès de cette pièce phare, elle n’a fait que repêcher dans le passé.

Si aujourd’hui, la marinière se dresse à l’horizon de tous les styles fiables, elle n’a pas toujours fait l’unanimité. D’ailleurs, sa première interprétation était plutôt péjorative. D’uniforme strict à modèle vedette de la Fashion Week, la marinière a sillonné bien des mondes avant d’harponner le cœur des modeur.se.s.

À la base, un vêtement de marginal

La marinière originelle n’avait rien de très élogieux, au contraire. C’était l’habit des marginaux et autres parias de la société. À l’opposé polaire de la noblesse, elle s’attirait le dégoût des hautes classes. En effet, la première marinière n’était pas le signe distinctif des matelots d’eau douce.

Au XVIIIe siècle, tous les vêtements à rayures venaient se greffer sur les épaules des bagnards, des bouffons ou encore des prostituées. La marinière incarnait donc, à la base, la médiocrité du « bas de l’échelle ». Il faudra attendre la Révolution française, un siècle plus tard, pour qu’elle remonte dans les estimes. C’est à cette époque charnière qu’elle vire de bord et se prête au registre marin.

La marinière, chasse gardée de la Marine Nationale

Après des prémices plutôt houleux, la marinière verse dans le corps marin. Dans sa forme initiale, ce tricot était servi en blanc, sans les rayures typiques qu’on lui connaît désormais. Ce parti-pris crée rapidement la confusion entre les pêcheurs et les marins, alors affublés du même accoutrement. Pour les dissocier, la marine russe décide alors de décliner des bandes blanches sur un tissu en jersey bleu nuit. C’est ainsi que la marinière est devenue la pièce de référence de tous les marins du globe.

D’abord glissée dans la catégorie des sous-vêtements, la marinière sert de seconde peau. Surtout fonctionnelle, elle protège du sel de mer et du froid. C’est une sorte de « Marcel » amélioré. Puis, en 1858, un décret introduit la marinière dans la liste des uniformes officiels de la marine nationale. Le fameux tricot se détourne de sa vocation décontractée et bascule vers des codes esthétiques plus draconiens.

La marinière prend alors une tournure mode plus formelle. Le texte va même jusqu’à normer le nombre de traits d’une vraie marinière et l’écart entre ceux-ci. Le vêtement doit alors posséder « 21 raies blanches larges de 20mm et 20 ou 21 raies bleues larges de 10mm ». Pour les manches, le tricot doit comporter « 15 raies blanches et 14 ou 15 raies bleues ».

Certaines légendes racontent que ce nombre de rayures précis faisait écho aux victoires napoléoniennes, d’autres prétendent que c’était pour repérer les marins tombés en mer. En réalité, il correspondait tout simplement à la technique de tissage.

Quand la haute couture s’approprie la marinière

La marinière n’était pas prédestinée à surplomber les looks de ville. Mais la téméraire Coco Chanel réussit à la sortir de son cadre militaire strict en lui proférant un fort potentiel mode. En 1916, elle ressuscite la marinière sous la forme d’une blouse en soie rayée dotée d’un col marin. Une création audacieuse révélée en avant-première dans sa boutique de Deauville.

L’enfant prodige de la mode déride la marinière et signe le début de son règne sur les tenues civiles. Et avec l’instauration des congés payés en 1930, elle ne tarde pas à envahir les allures farniente des bords de plage. Aperçue ensuite sur Brigitte Bardot ou Pablo Picasso, la marinière traduit l’élégance à la française. En 1966, Yves Saint-Laurent confirme son sacre dans sa collection « Matelot ». Il y dévoile une robe marinière sulfureuse constellée de sequins.

Quelques années plus tard, en 1978, un certain Jean-Paul Gaultier, alors créateur émergent, se sert de la marinière comme étendard. Il en fait ainsi son totem de prédilection. C’est dans sa collection « Toy Boy » de 1983 que la marinière devient son ingrédient phare et qu’il hérite de son exclusivité. Il va même jusqu’à l’estampiller sur l’écrin de son parfum phare « le Mâle ».

La marinière s’est fondue dans le paysage mode comme une traînée de poudre. Revalorisée par les mains les plus nobles, elle oxygène les penderies de tous les rivages. En 2022, elle éclaboussait encore les tapis rouges de la Fashion Week. Chanel, Marni et Jean-Paul Gaultier lui réservaient un accueil en fanfare.

Comment porter la marinière ?

La marinière est particulièrement facile à vivre. Elle se plaît par-dessus une chemise colorée, en compagnie d’un jean taille haute, avec un blazer soigné ou assaisonnée avec un foulard pigmenté. Associée à un denim wide leg, une paire de sneakers élégante et ornée d’un trench camel, la marinière baigne dans le style effortless.

Mais elle peut aussi prendre une tournure plus travaillée dans un cocktail pantalon fluide, mules à talon et mini-sac matelassé. Pour doper l’esprit vacancier, la marinière s’entoure de jupe midi plissée, de sandales compensées, de sac en osier et de solaires XXL.

Cette pièce star s’apprivoise aussi bien dans des combinaisons mode sophistiquées que décontractées. Elle apporte ce petit « truc en plus » aux tenues anodines de tous les jours. C’est un peu la Madeleine de Proust du vestiaire féminin et masculin.

La marinière s’émancipe aujourd’hui sous des couleurs plurielles et des coupes designs. Ce tricot à la personnalité bien trempée a fait de nombreux détours avant de s’accrocher fièrement sur les cintres de nos penderies. Avec la lubie actuelle des imprimés en trompe-l’œil, le succès de la marinière n’a pas fini de s’écrire. Un basique qui sait garder le cap en toutes circonstances. 

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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