« L’endométriose nous enferme dans une prison invisible » : le témoignage d’Aude

« Arrêtez de faire la chochotte ! Ce sont juste des règles, pas de quoi en faire un plat », « Il faudrait envisager de voir un psy car les douleurs sont sûrement dans votre tête »… voilà les types de phrases auxquelles Aude a dû faire face pendant de nombreuses années. La jeune femme a toujours eu des règles douloureuses et a passé beaucoup de temps sans savoir d’où venaient ses souffrances. Sa gynécologue de l’époque était d’ailleurs la première à penser qu’elle exagérait.

Deux à trois ans avant d’être diagnostiquée, les douleurs se sont amplifiées. Une énième prise en charge, on lui conseille de faire une IRM et jackpot ! Le verdict tombe enfin : à 25 ans on lui annonce ainsi qu’elle souffre d’endométriose. Depuis, à travers son blog, Aude souhaite briser les tabous autour de cette maladie et poser justement « des mots sur les maux qui nous rongent de façon invisible ». Rencontre.

The Body Optimist : Pouvez-vous, pour nos lectrices, rappeler ce qu’est l’endométriose ?

Aude : « C’est une maladie chronique touchant uniquement les femmes, plus particulièrement 1 sur 10. À l’intérieur de la cavité utérine se trouve l’endomètre qui est la muqueuse qui le tapisse. À chaque cycle, les cellules endométriales se multiplient, l’endomètre s’épaissit et s’il n’y a pas fécondation elles se désagrègent pour donner les règles.

Dans le cas où ces cellules migrent en dehors de l’utérus et vont se loger dans le ventre, sur le péritoine, sur les trompes, les ovaires, derrière l’utérus, sur la vessie, l’intestin ou encore les poumons créant des lésions, des kystes ou des adhérences : il y a endométriose. Dans le cas où elle se développe à l’intérieur et infiltrent le muscle utérin, c’est l’adénomyose.

En résumé, d’après l’Inserm, l’endométriose se manifeste par la présence de tissus utérins hors de l’utérus. Cela cause des lésions dont les cellules se comportent de la même façon que la muqueuse utérine, c’est-à-dire l’endomètre : elles vont « proliférer, saigner et laisser des cicatrices fibreuses à chaque cycle menstruel » ».

Comme 1 Française sur 10 en âge de procréer vous êtes donc concernée par l’endométriose. Pourquoi avoir décidé de prendre la parole sur ce sujet ? Qu’est-ce qui vous a poussé à vous dévoiler, à parler de la maladie, à poser des mots sur vos maux ?

« J’ai décidé de prendre la parole sur ce sujet afin de briser les tabous et de poser justement des mots sur les maux qui nous rongent de façon invisible. Selon moi, il n’est pas normal qu’une maladie qui frappe autant de femmes soit méconnue et de ce fait, mal prise en charge en partie parce qu’elle touche à notre intimité. »

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : il faut en général 7 ans pour obtenir enfin un diagnostic, après des années d’errances médicales. Que vous disaient les médecins que vous consultiez ?

« J’ai toujours eu des règles douloureuses qu’on se le disent mais… depuis quelques années cela a empiré : une asthénie (fatigue chronique), des vomissements, des troubles du transit, des hémorragies suivies de douleurs atroces (comme des coups de couteau ou encore étouffée par des barbelés) et la cerise sur le gâteau c’est une paralysie des membres inférieurs quand la douleur était trop intense.

Peu de gynécologues connaissent l’endométriose, même encore aujourd’hui alors que c’est une maladie qui touche 10 % de leurs patientes. Ma gynécologue de l’époque pensait d’ailleurs que j’exagérais un peu et que les études d’infirmière me montaient à la tête. Mon médecin traitant a pensé que c’était gastrique mais personne n’a prêté attention à ces douleurs de plus en plus intenses, m’handicapant dans la vie de tous les jours. »

Pensez-vous qu’il y ait une forme de sexisme de la part de certains de ces médecins qui ne prennent pas au sérieux la douleur des femmes ?

« Malheureusement, oui ! Je ne dis pas que tous les médecins sont pareils mais… combien de fois on m’a dit : « Arrêtez de faire la chochotte ! Ce sont juste des règles ! », « Vous n’avez qu’à faire un gosse », « L’endo ? Ah oui ! La maladie à la mode pour celles qui font du cinéma quand elles ont leurs règles » et j’en passe et des meilleurs…

J’ai même dû faire face à de la violence gynécologique et dix fois sur dix une femme qui arrive aux urgences avec ce type de douleurs est forcément enceinte. Je ne sais pas combien de fois j’ai donc dû expliquer que ce n’était pas mon cas. En vrai, je pense que si les résultats des prises de sang ne revenaient pas négatifs personne ne m’aurait cru, « ce n’est pas normal de souffrir autant ! C’est sûrement dans votre tête… » ».

Vous l’expliquez sur votre blog mycurly-kinkyhair.com, le jour où l’on vous a posé le bon diagnostic vous aviez 25 ans. Qu’est-ce qui a fait la différence, alors que pendant des années personne ne vous a réellement écouté ? Qu’est-ce que ça a changé pour vous ?

« Tout ! Je suis restée enfermée dans cette prison invisible pensant que je perdais la raison. Le plus dur est de ne pas avoir été écouté et d’être étiqueté comme « chochotte ». Étant infirmière, j’ai été d’autant plus frappée par le sexisme médical.

Le jour où j’ai appris que j’étais atteinte d’endométriose fût un soulagement, une libération. Je m’explique, je pouvais enfin mettre un nom sur cette squatteuse m’ayant rendu la vie difficile depuis ces dernières années ».

Qu’en est-il aujourd’hui ? Comment vous sentez-vous ? Comment se passe votre quotidien ? Le travail, les sorties entre ami.e.s, les relations ?

« Physiquement, je vais beaucoup mieux grâce à Dieu mais n’oublions pas que cela reste une maladie chronique sans réel remède. On se contente « simplement » de soigner les différents symptômes tout en essayant de rendre le quotidien plus facile.

Moralement, je suis en colère ! J’essaye de surmonter les remarques faites durant toutes ces années. J’ai du mal à comprendre que beaucoup de professionnels de santé se cachent derrière « c’est nouveau et peu connu ». J’ai souvent envie de répondre qu’il faudrait se former plutôt que de juger ce que l’on ne comprend pas.

Au quotidien, il y a des hauts et des bas. Des jours où je pète la forme et d’autres où je ne peux plus marcher tellement cette douleur est insolente. Il y a différents types d’endométriose et de symptômes, les douleurs sont différentes d’une personne à l’autre. Pour le travail, j’ai par exemple mis de nombreuses choses en place afin de m’aider. J’ai souvent une Swiss ball pour m’asseoir afin d’être plus confortable. J’utilise mon TENS neurostimulateur quand les douleurs sont trop fortes et aussi des poches de glaces pour me soulager.

J’ai pris du temps mais je suis en phase d’acceptation de la maladie. Il faut faire le deuil de tout ce dont on a rêvé et « accueillir » l’endométriose comme une compagne de route ».

Est-ce que vous avez d’ailleurs dû changer certaines habitudes de votre quotidien qui n’étaient pas compatibles avec votre endométriose ?

« Oula, beaucoup de choses oui ! Je dois m’aménager du temps pour me reposer sans quoi je suis vite sur les rotules. J’ai changé mes habitudes alimentaires car une bonne partie de ce que l’on mange est inflammatoire. J’écoute mon corps et essaye d’accueillir chaque jour mieux que le précédent. J’ai appris aussi à ne plus dire « MON ENDO » afin de ne pas en retenir que le négatif. Je dois vivre avec elle mais elle ne doit pas être maître de mon destin. »

Votre endométriose a-t-elle eu un impact sur le rapport que vous entretenez avec votre corps ?

« On n’y pense pas mais… oui ! Quelquefois durant les crises mon ventre gonfle, gonfle comme une femme enceinte sans pour autant l’être. J’ai une amie qui a des hématomes sur le ventre, c’est vraiment impressionnant ! Un jour aux urgences l’équipe médicale a soupçonné que son compagnon la battait alors que le mal venait de l’intérieur.

En tant que femme nous sommes censées être des potomitan (des femmes fortes) nous ne voulons pas que le monde nous voit comme défectueuses, imparfaites ou encore incapables de procréer. Je dis stop ! Je ne dois pas avoir honte de tout cela au contraire. Je suis une battante ! Je prends beaucoup plus soin de mon corps depuis que j’ai été diagnostiqué. Ce corps endolori, fragile et marqué par mon histoire doit être chouchouté ! »

Avez-vous des pensées positives qui vous aident à tenir le cap dans les moments particulièrement difficiles ?

« Certains ne me croiront pas mais… si je n’avais pas Dieu dans ma vie je pense que j’aurais pu faire une dépression comme beaucoup d’entre nous. Ma foi m’aide à garder le cap dans les moments difficiles et même si je n’y arrive pas toujours j’essaie d’être positive et de voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. »

Avez-vous 2 ou 3 astuces naturelles en béton pour soulager vos symptômes ?

« Ma première astuce est le thym qui est un anti-inflammatoire, un antifongique et un antimicrobien. Je le prends en tisane afin de lutter contre l’inflammation, je fais aussi des tisanes à base de sauge car c’est un puissant antiseptique. Il y a un dicton qui dit « qui a de la sauge dans son jardin n’a pas besoin de médecin ».

Il y a la bouillotte aussi que l’on peut utiliser chaude ou froide en fonction de ce qui soulage le plus. Moi c’est le froid mais je connais beaucoup de personnes soulagées par le chaud. Et pour finir, du CBD (cannabis thérapeutique) cela fait plus d’un mois que je l’utilise et vraiment : ma vie a changé. J’arrive à mieux gérer mes douleurs, j’ai une meilleure qualité de sommeil et les effets secondaires en moins de mon traitement habituel. »

Comme nous le disions, cette maladie chronique est encore aujourd’hui peu connue, y compris chez les femmes. Pourquoi selon vous ?

« Parce que c’est encore tabou d’en parler. J’entends encore des personnes me dire que je devrais garder tout cela pour moi. Que c’est « une histoire de femmes » alors que c’est tout à fait le contraire. C’est une maladie de couple, une maladie pouvant nous couper du monde en nous isolant de tout. En parler c’est améliorer la prise en charge.

À l’heure, actuelle mes proches savent quoi faire en cas de crise et je connais assez bien cette pathologie pour aiguiller les professionnels de santé quand ils m’avouent ne pas maitriser le sujet. »

En parallèle pourtant, l’endométriose est de plus en plus médiatisée. On peut même dire qu’elle s’est imposée dans le débat public à travers les livres, les forums, la presse, les récits de femmes se multiplient. Que pensez-vous de tous ces témoignages ?

« Je pense que c’est vraiment une chose formidable que l’on brise les tabous. Cela permet que tout un chacun entende parler au moins une fois de cette maladie. Quand des femmes comme Nadia MLADJAO alias Imany, Laëtitia MILLOT ou encore Énora MALAGRE parlent leur communauté réalise que ce ne sont pas « juste des règles ». Cela permet aussi à des associations telles que Endofrance et ENDOmind de sensibiliser, d’informer et de récolter des fonds pour la recherche. »

Aujourd’hui, vous vivez toujours avec l’endométriose au quotidien, quels conseils donneriez-vous à une jeune femme dont les règles la font trop souffrir et/ou qui souffre d’endométriose ?

« Je dirai à cette jeune femme : « Tu ne dois pas avoir honte. Ce n’est pas de ta faute et tu n’es pas une chochotte ! Je sais que ce n’est pas facile tous les jours mais il faut comprendre que c’est une compagne de vie avec laquelle il va falloir faire pas mal de concessions cependant, il ne faut pas s’isoler et se couper du monde. Tu peux profiter de la vie (avec quelques aménagements) mais tu peux. N’hésite pas à en parler à tes proches afin qu’ils prennent connaissance des difficultés par lesquelles tu passes et qu’il t’aide à y faire face » ».

Et à celles qui n’en souffrent pas ? Une recommandation ?

« « Quand une jeune fille, une sœur, une cousine, une nièce vient se confier à vous sur son intimité, sur ses douleurs… svp écoutez-là ! Arrêtez de dire que c’est normal car quand on se réveille dans une mare de sang, que l’on ne peut plus marcher ou encore que l’on se sent enfermé dans des barbelés ce n’est pas normal. Encouragez-là à contacter un gynécologue afin de trouver des solutions. » »

Le mot pour la fin : si vous deviez résumer l’endométriose en 2 mots ?

« Je dirais pour finir que les femmes atteintes de cette pathologie sont enfermées dans une « prison invisible » et que nous aimerions simplement « sortir de l’ombre ».

Merci à Aude d’avoir répondu à nos questions. Vous pouvez suivre ses aventures au-delà de notre article, sur son compte Instagram : mycurlykinkyhair. Mais aussi sur son blog et sa chaîne Youtube.

Elodie Pimbert
Elodie Pimbert
Journaliste « touche à tout », je suis Content Manager et rédactrice web pour le média The Body Optimist. Je m'intéresse à des sujets variés (écologie, sexualité, lgbtqia+, beauté, décoration, etc.) et ai à coeur de déconstruire les préjugés, stéréotypes et normes de notre société. Je scrute le web à l’affût des dernières évolutions et tendances. Ce n'est donc pas un hasard si j'écris et fais grandir depuis plusieurs années The Body Optimist.
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