Barbie : stéréotype de la femme parfaite ou totem féministe ?

« Life in plastic, it’s fantastic ! » chantait le groupe Aqua dans leur indépassable tube, « Barbie Girl ». Le groupe nous rappelait déjà comme la poupée blonde est un symbole de superficialité et d’obéissance à des standards de beauté. Mais l’annonce du prochain film de la réalisatrice féministe Greta Gerwig, « Barbie », a fini de rebattre les cartes. Victime de son succès, la poupée Barbie a depuis longtemps quitté son rôle pour s’inscrire dans la pop culture. Alors, entre conformisme au stéréotype de la femme parfaite et symbole féministe, où placer Barbie en 2023 ?

Le retour de la poupée

Dans cet opus très attendu, la favorite du cinéma indépendant et son compagnon Noah Baumbach co-signent un scénario satirique à souhait. Dans la bande-annonce déjà, nous pouvons voir l’actrice Margot Robbie en parfaite Barbie rose fluo et l’acteur Ryan Gosling, en impeccable Ken à la musculature de rêve. Les deux se donnent la réplique dans un humour plein d’autodérision qui ne manque pas de casser l’image de ces poupées parfaites.

Vous n’avez pas non plus pu passer à côté de la tendance Barbiecore. Présente sur tous les podiums, les réseaux sociaux et les tapis rouges, elle remet Pamela Anderson, Britney Spears ou encore Paris Hilton à la mode. Résultat, c’est sous un nouveau jour que nous découvrons une Barbie, transformée avec les années pour s’adapter à son temps. Si elle ne porte plus exactement le même message qu’à sa création en 1959, la poupée n’a toujours pas fini de faire jaser.

Barbie, la reine de la superficialité

Barbie, c’est l’archétype des injonctions qui sont portées sur le corps des femmes. Elle est grande, mince, blonde, a une peau lisse, blanche et des mensurations dites parfaites. C’est la plastification incarnée de l’Humain. Barbie est donc le stéréotype par excellence de « la femme parfaite » dénoncé par les féministes. L’historienne Marianne Debouzy écrivait dans son article « La Poupée Barbie » (publié dans la revue Clio) :

« Mais la ‘révolution’ Barbie, c’est aussi celle de toute une société qui distingue de moins en moins le faux-semblant de la réalité. Elle n’est qu’une forme de plus du produit d’un imaginaire social que minent les confusions entre le réel et les simulacres de toutes sortes. »

Cette poupée ne manque d’ailleurs pas de souligner les limites de notre propre société. Son Barbie World, empreint de superficialité, s’avère être une bonne métaphore de notre monde. D’abord, alors qu’elle est faite de plastique, cette matière inonde notre environnement. Ensuite, son attractivité, et celle de Ken, reposent sur l’édification d’une image lissée, aseptisée, fake. Les réseaux sociaux en sont l’apanage. Vous y croisez des sourires figés, ds visages changés par les filtres, et même des images générées par des intelligences artificielles. Comme Barbie, ces photos dont on nous abreuve ne sont qu’une illusion, mais elles ne manquent pas de sembler atteignables, presque réelles.

Ainsi, la poupée incarne un idéal que l’on dirige aux plus petit.e.s. Cela ne manque pas de faire réagir. Les voix se lèvent contre cette incarnation d’un idéal à atteindre. Le modèle que l’on donne aux enfants n’est le reflet que d’une illusion patriarcale. Comment peuvent-iels devenir adultes avec une telle image de la femme pour référence ?

Devenir une femme libre

Pourtant, l’histoire de Barbie débute dans le féminisme. Nous sommes dans les années 1950, Ruth Handler est une mère de famille américaine. Alors que son fils Kenneth possède des jeux qui lui permettent de se projeter professionnellement, sa fille Barbara doit se contenter de poupons et de jeux ménagers. Alors que Ruth peut laisser libre cours à son imaginaire pour le futur, Barbara ne pourra être qu’une bonne femme au foyer et mère de famille. Au cours d’un voyage en Suisse, Ruth découvre Lilly, une poupée mannequin conçue en Allemagne, aux cheveux blonds et à l’allure d’une mannequin adulte. Elle s’en inspire pour créer Barbie (en honneur à Barbara), un modèle de femme indépendante.

Son succès est immédiat chez les jeunes filles de l’époque, mais relatif auprès de leurs parents. En effet, les adultes renâclaient à offrir à leurs filles cette poupée aux mensurations aberrantes. Mais enfin, on permet aux jeunes filles de jouer la femme forte, libre puissante et libérée de nombreux stéréotypes de la femme parfaite, Barbie devient féministe. Marie-Françoise Hanquez-Maincent, notes dans « Barbie, poupée-totem. Entre mère et fille, lien ou rupture ? » :

« Barbie ne confine pas les fillettes dans une fonction nourricière, dispensatrice de caresses. Elle est une femme de pouvoir qui ne cède pas aux avances de Ken. »

Dans les années qui suivent, Barbie se libère définitivement des dogmes qui enferment la femme dans certains emplois. Elle devient hôtesse de l’air, chirurgienne, pilote de courses astronaute, candidate à la présidentielle dès 1992. Malgré tout, elle reste longtemps blanche, avec des yeux bleus, de hauts talons et une taille fine.

Une pluralité de Barbies

Depuis 2015, Mattel (propriétaire de Barbie), lance sa gamme « fashionista » avec des poupées aux couleurs de peau et aux types de cheveux variés. Enfin, elle commence à représenter davantage de la pluralité de notre monde. Mattel ne s’arrête pas là en sortant une Barbie handicapée en 2019, puis malade en 2020. Vous pouvez aussi trouver des Barbie et des Ken en fauteuil roulant, avec une prothèse de jambe, atteint.e.s d’alopécie, etc. On dénombre plus de 200 modèles destinés à « montrer tous les types de beauté qui existent ».

Hélas, la majorité des achats concernent encore majoritairement la Barbie qui crée des complexes dans son apparence stéréotypée. D’ailleurs, elles n’en demeurent pas moins des symboles d’injonctions décriées par le féminisme. Pire encore, plutôt que de participer à une déconstruction des discriminations, elles les perpétuent. Par exemple, la Barbie handicapée n’est vendue que pour son handicap et n’a pas le droit aux mêmes métiers que ses pairs. Et les poupées racisées se font encore rares en rayons.Barbie est-elle donc alors un totem féministe où représente-t-elle encore trop un stéréotype de la femme parfaite ?

Les nouvelles Barbies au service du marketing

Il est indéniable que ce coup de pied dans la fourmilière était bienvenu. Mais il s’agissait avant tout d’un biais pour relancer les ventes de Barbie, en déclin depuis 2012. Le stéréotype représenté par la poupée aura finalement eu raison de son charme.

Le but était donc de l’intégrer à ce mouvement d’inclusivité qui naissait et prenait de l’ampleur. Cela n’a pas manqué de fonctionner, en 2020, les ventes de Mattel se sont envolées de 16 % et de 19 % l’année suivante : ce record est entièrement dû à Barbie.

Aujourd’hui, Barbie n’est ainsi plus seulement le symbole des injonctions portées aux femmes, elle est aussi un modèle féministe. À l’image de celle qui l’incarne, Margot Robbie, la poupée devient une icône pour toutes ces jeunes femmes en recherche d’émancipation. Elles sont désormais fortes, puissantes et indépendantes. Et si, grâce à l’interprétation de la jeune australienne, Barbie pouvait enfin devenir un totem féministe exempt du stéréotype de la femme parfaite ?

Charlotte Vrignaud
Charlotte Vrignaud
En tant que journaliste spécialisée dans les médias et la culture, mon quotidien est une aventure passionnante au cœur de l'évolution culturelle et médiatique de notre époque. Mon rôle consiste à décrypter et à partager les tendances émergentes, les innovations et les récits captivants qui façonnent notre société.
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