Pourquoi les femmes sont confrontées à une désinformation genrée sur les médias sociaux ?

Brigitte Macron, Michelle Obama, Olena Zelenska… les femmes qui ont un pied dans les hautes sphères politiques sont la cible d’une désinformation genrée de plus en plus virulente. Entre photos trafiquées et infox au goût de complot misogyne, la réputation des femmes de pouvoir (et pas que) se heurte à un sabotage en ligne d’envergure. Avec leur portée virale, ces fausses informations se répandent comme une traînée de poudre et salissent l’honneur des grandes dames sur leur passage. Une machination sexiste attisée par le boom des intelligences artificielles.

Tandis que la popularité des hommes d’État est glissée sous papier bulle, celle de leurs collègues féminines est fragilisée par un terrorisme intellectuel 2.0. Tour d’horizon pour y voir plus clair sur cette désinformation genrée. 

Désinformation genrée : une manipulation sexiste en hausse

Aujourd’hui, à l’ère du tout numérique, 70 % des jeunes s’informent sur les réseaux sociaux. Un terrain informatif fébrile, miné par des fake news explosives. Incendie soi-disant volontaire de Notre-Dame, invention préméditée du Covid-19 dans des laboratoires chinois ou encore Pacte de Marrakech pour envahir l’Europe de migrants… ces infox, aussi farfelues soient-elles, tentent d’escroquer les opinions.

Elles sont de plus en plus utilisées comme des armes de destruction de carrière, à l’encontre des femmes d’influence. Une désinformation genrée fabriquée de toute pièce pour les déstabiliser, écorcher leur crédibilité et torturer leur image publique. Les fact-checkers de l’AFP ont démantelé de nombreuses campagnes de désinformation genrées visant des femmes politiquement investies ou liées à des politiciens de premier plan.

Ce soulèvement sexiste qui pollue la toile est pourtant loin d’être nouveau. Déjà en 2016, une enquête du New York Times révélait que 42 % des femmes parlementaires avaient été confrontées à des images « extrêmement humiliantes ou à connotation sexuelle » diffusées en ligne. Les stéréotypes sexistes dans notre société sont les principaux composants de la désinformation genrée.

Cette supercherie, orchestrée sous l’anonymat du net, s’imprègne des codes réducteurs qui prétendent que les femmes sont vénales, sournoises et immorales. Ces pièges à clics bien léchés jonchent chaque parcelle de la webosphère, de Twitter à Instagram en passant par TikTok. Pour faire barrage à cette désinformation genrée endémique, Lucina Di Meco, militante féministe, a lancé #ShePersisted, seul outil de lutte mondial à ce jour.

« Lorsque les femmes subissent cette violence en ligne, le but n’est pas différent de celui hors ligne : contrôler, exercer une autorité sur elle, faire taire, les tenir à l’écart de la conversation et les priver de cet espace de libre expression », déclarait Phumzile Mlambo-Ngcuka la secrétaire générale adjointe des Nations Unies et directrice exécutive d’ONU Femmes

Les femmes de pouvoir, des cibles régulières

Si la désinformation genrée s’attaque de plus en plus aux femmes journalistes et aux défenseuses de l’égalité des sexes, elle jette surtout son grappin sur les femmes politiques. C’est une tactique régulièrement dégainée lorsque les femmes de pouvoir font trop de bruits dans l’arène médiatique. C’est aussi un moyen dérivé de ternir la cote de popularité d’un chef d’État.

La désinformation genrée s’attèle en fait à noyer la « menace » sous un amoncellement de mensonges. Cette pratique, menée par des prestidigitateurs 2.0 d’un nouveau genre se dissout dans le paysage virtuel avec une force démesurée. Au cours des quatre dernières années, plusieurs femmes politiques en ont fait les frais. Voici un cheptel d’exemples, qui transportent tous le même message de haine déguisée.

Le cas flagrant d’Olena Zelenska, première dame d’Ukraine

L’an dernier, alors que l’armée russe éventrait les terres ukrainiennes, la première dame d’Ukraine, Olena Zelenska apparaissait seins nus sur une plage en Israël. Une arnaque imagée qui a tout de suite suscité l’appât du clic. Cette photo, massivement relayée sur Facebook, a embrasé les critiques à la manière d’un produit ultra inflammable.

De nombreux internautes pointaient notamment son inaction par temps de guerre. L’image, véritable coup monté, dévoilait en fait une présentatrice de télévision russe. Une autre photo falsifiée révélant la femme de Vlodomir Zelenski à Nice a également pris la toile d’assaut. Publié en premier lieu sur le réseau russophone Télégram, ce cliché remonte en réalité à 2019 et représente une mannequin anglaise à l’orée du Festival de Cannes.

Ces clichés factices, égrainés à grande échelle, n’ont fait que nourrir la propagande russe. Une technique d’intimidation prévue pour salir le nom de Zelenski et entacher sa lutte contre l’invasion russe. Un cas de désinformation genrée à l’effet ricochet qui discrédite une première dame pour secouer les sommets de l’État et détourner l’attention.

Brigitte Macron, victime de fake news transphobe

Dans la même veine, la première dame française Brigitte Macron a aussi essuyé une désinformation genrée aux relents transphobes. En 2021, à l’aune des élections présidentielles, la femme d’Emmanuel Macron était dans le collimateur d’une fake news imbuvable. Cette dernière prétendait que la première dame était née homme, sous le nom de Jean-Michel Trogneux. Une fausse information qui calque les codes des conspirations américaines.

Cette rumeur retranchée dans les extrêmes a été infusée dans une vidéo YouTube de 4 heures. Deux femmes, l’une prétendue « médium » et l’autre « journaliste indépendante » en sont à l’origine. Dans cette vidéo, devenue métastatique sur le net, elles tirent une enquête illusoire sur le soi-disant « vrai visage de Brigitte Macron ». Elles vont même jusqu’à renier l’accouchement de ses propres enfants. Photos de famille à l’appui, elles embobinent les esprits en travestissant les incohérences en preuves.

Ce simulacre a pris une ampleur monstrueuse. Le compte hostile à Emmanuel Macron « Journal de la macronie » lui a même cousu un hashtag #JeanMichelTrogneux. Selon l’outil Visibrain, les mots « Jean-Michel Trogneux » ont ainsi généré plus 66 000 mentions. Si Brigitte Macron est régulièrement chahutée par des informations mensongères, celle-ci est particulièrement indigeste. En plus de triturer le portrait de la femme, elle assaillit également une minorité de genre, de façon indirecte. Cette pratique est très répandue aux États-Unis. Michelle Obama l’a, elle aussi, expérimenté pendant le mandat de son mari.

Nancy Pelosi, présentée en état d’ivresse

En 2019, aux États-Unis, Nancy Pelosi, figure emblématique du camp démocrate anti-Trump se frottait également aux rudes revers de la désinformation genrée. Dans un montage vidéo, sa voix, mise au ralenti, semblait induire qu’elle n’avait pas bu uniquement de l’eau. Avec quelques retouches vocales de bas âge, l’adversaire éminente de Trump était ainsi propulsée dans un état d’ivresse complètement fallacieux.

Débit de parole lent, problème d’articulation, élocution difficile… des ingrédients de buzz qui n’ont pas tardé à faire leur effet. Sans surprises, la vidéo a balayé la toile comme un ouragan jusqu’à atteindre les 3 millions de vues rien que sur Facebook. Les soutiens de Trump s’étaient empressés de partager la vidéo pour proférer la mauvaise parole.

Alors que Nancy Pelosi grimpait en flèche dans les estimes du peuple américain, cette désinformation genrée est venue ralentir son élan. Elle traduit surtout une contre-offensive politique crasse et intolérante. C’est une méthode dangereuse qui évince les femmes du système fondateur sous couvert du « canular ».

Désinformation genrée, le terreau fertile des stéréotypes

La désinformation genrée cultive la guerre des sexes. Largement motivée par les groupes d’incels, communauté d’hommes aux revendications masculinistes et anti-femmes, elle attise une violence déjà bien à vif. La désinformation genrée conduit souvent à « la violence politique, à la haine et à la dissuasion des jeunes femmes d’envisager une carrière politique », selon une étude intitulée « Monétisation de la misogynie », publiée le mois dernier par Lucina Di Meco, experte en égalité des sexes.

Cet enfumage textuel ou visuel a pour vocation de ridiculiser les femmes et de remettre en cause leur capacité physique ou intellectuelle. Elle métamorphose d’ailleurs tout le lexique machiste en instruments de défense. Les termes « mauvaise », « énervée », « sexuelle », « faible » et « incompétente » tentent ainsi de donner du corps à la supercherie digitale.

Cette éraflure de la personnalité féminine ne date pourtant pas d’hier. Elle était simplement différente. À l’époque, les femmes scientifiques souffraient, par exemple, de l’effet Matilda. Soit le déni, la spoliation ou la minimisation récurrente de la contribution des femmes à la recherche scientifique. Les hommes s’accaparaient alors volontiers leur travail en prétendant qu’elles n’avaient ni l’étoffe ni le cerveau d’une grande figure scientifique.

Mais maintenant que les femmes ont plus de poids et plus de droits, les hommes redoublent de vices pour garder le monopole du pouvoir. La désinformation genrée est une pièce à conviction de plus dans la lutte contre les inégalités hommes-femmes. Dans un univers politique fait de costard-cravate, les femmes sont encore perçues comme des ennemies et non pas comme des concurrentes.

La désinformation genrée, devenue dangereusement radicale, fusille les efforts des femmes d’ambitions en vue de les décourager. Et ça semble fonctionner. L’ex-Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern a récemment rendu son « titre » pour « préserver sa santé mentale”. Pendant toute sa parenthèse politique, elle a été visée par des fake news plus ou moins brutales.

Quelles mesures pour enrayer ce fléau ?

Si la désinformation genrée perfore encore largement la toile, c’est principalement à cause du désintérêt des grosses plateformes. Malgré une politique accessoirement plus « stricte », les GAFA restent encore le lieu de prédilection de ces contenus abusifs. En 2020, plusieurs dizaines de législateurs du monde s’étaient levés contre Facebook. Dans une lettre courroucée, ils accusaient le mastodonte du web de servir de caisse de résonance aux contenus haineux et mensongers érigés à l’encontre des femmes.

« Ne vous y trompez pas, ces tactiques, qui sont utilisées sur votre plateforme à des fins malveillantes, visent à réduire les femmes au silence et, en fin de compte, à saper nos démocraties », peut-on lire dans la lettre

Cependant, les réseaux sociaux continuent de faire la sourde oreille. Pour eux, le trafic mobilisé avec ces tromperies est plus alléchant que le combat de front. En parallèle, la désinformation genrée se fracasse à la minutie du fact-checking. Pendant la dernière décennie, ces vérificateurs de faits ont vu le jour dans plus de 50 pays. Selon le décompte mondial le plus fiable, 113 groupes de ce genre sont actifs aujourd’hui.

La désinformation genrée illustre des lacunes grandiloquentes dans l’éducation à l’égalité hommes-femmes. Elle banalise une hostilité des femmes hors des murs virtuels. Toutes les femmes exposées médiatiquement sont donc les victimes d’un système pourri jusqu’à la moelle par le patriarcat. C’est aussi ce qu’illustre le syndrome du grand coquelicot.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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