Comment parler de santé mentale à ses enfants ?

Pendant son tendre âge, l’enfant trébuche, se cogne et s’égratigne. Ces blessures physiques, héritées d’une certaine maladresse, trouvent une réponse dans la trousse de secours du nid familial. Dans ce cas de figure, l’enfant fait savoir sa détresse par de grosses larmes de crocodile. À l’inverse, les « bobos » de l’esprit, silencieux mais dévastateurs, restent calfeutrés dans les non-dits. Traumas, dépression, rejet, troubles anxieux… ces balafres invisibles ne se résorbent malheureusement pas à coup de pansements fantaisie. D’où l’importance de parler de santé mentale à ses enfants. Les douleurs palpables et celles vécues de l’intérieur doivent être sur un même piédestal. 

Santé mentale des enfants : un bilan noir

Quelques années en arrière, le terme santé mentale relevait encore du mystère, voire de la langue étrangère. C’est la crise sanitaire qui l’a propulsée sur le devant de la scène alors que la France vivait les heures sombres de la Covid. Aujourd’hui, la santé mentale trouve un écho dans la bouche des stars de renom à l’image de la chanteuse, actrice et productrice américaine Séléna Gomez et de l’acteur britannique Tom Holland.

Ce bien-être intra-muros est devenu une urgence collective. Cependant, les enfants y échappent injustement comme si leurs ecchymoses de l’âme n’avaient aucune légitimité. Si les vilaines bosses et les éraflures se soignent à grand renfort de « bisous magiques », les plaies psychiques, elles, sont laissées en champ de ruine. Pourtant, la santé mentale des tout jeunes s’étiole à petit feu dans une indifférence assourdissante.

Dans un rapport publié en octobre 2022, l’Unicef soulignait une passivité médicale déconcertante vis-à-vis de la santé mentale des enfants. À mesure de cette hostilité, le mal-être des jeunes se cristallise. Sur 25 000 enfants « 76,6 % des répondant.e.s indiquent qu’iel leur arrive d’être triste ou cafardeux.ses, 53,3 % de n’avoir plus goût à rien et 64,2 % de perdre confiance en elleux ».

Même si la pandémie porte le chapeau de cet état des lieux chaotique, c’est un peu l’excuse facile qui arrange bien les politiques. Malgré une situation périlleuse, seuls 2 % des budgets publics alloués à la santé sont affectés à la santé mentale dans le monde. La Covid a bon dos.

Des enfants confronté.e.s aux responsabilités très tôt

Évoquée pour la première fois en 1970, la parentification est un phénomène psychologique qui fait peser des responsabilités colossales sur le dos des bambins. C’est un esprit d’adultes infusé dans un corps haut comme trois pommes. Ce revirement des rôles étrille l’innocence du tendre âge et pousse l’enfant à s’approprier des tâches démesurées.

Au lieu de jouer aux billes ou de s’esclaffer sur fond de « pipi, caca », l’enfant tient les rênes du foyer. Cette instrumentation, souvent inconsciente, pèse lourd sur la santé mentale des enfants et forge les adultes anxieux.ses de demain.

Au-delà de cette délégation quasi pathologique du parent, les enfants sont de plus en plus livré.e.s à elleux-mêmes. Mais comme l’explique la psychologue clinicienne, Béatrice Copper-Royer à LCI « un.e enfant débrouillard.e n’est pas forcément mature sur le plan affectif ». L’autonomie « forcée » sème donc certaines fragilités sur son passage.

En parallèle, le stress des parents a tendance à déteindre sur les enfants à la manière d’un coton absorbant. Selon une équipe de chercheurs Américains, Anglais et Suédois, le stress des parents se superpose sur les enfants de façon environnementale et non génétique.

Un climat anxiogène jeté sur petit écran

Avec la digitalisation des modes de vie, les enfants se heurtent de façon précoce à la face maussade de la société. Dès deux ans, les enfants passent près de 3h le nez dans le virtuel. Le chiffre grimpe à 4h45 pour les 8-12 ans. Mais malgré un contrôle parental assidu, des images crues se glissent sous les yeux candides des petit.e.s.

Un.e enfant sur deux de moins de 12 ans aurait déjà vu des contenus hyper-violents ou pornographiques sur internet. Guerre, famine, attentat, catastrophe naturelle… qu’importe la nature ou l’ampleur de cette violence, les enfants en gardent des stigmates à vif. Leur santé mentale prend perpète avec l’euphorie du clic.

Selon une étude menée au Canada, l’exposition à la violence par l’intermédiaire de la télévision pendant la petite enfance donnerait même lieu à des troubles psychologiques et des difficultés scolaires à l’adolescence. Autre risque avec les écrans : la cyberviolence et l’ancrage du harcèlement scolaire au-delà des murs de l’école.

Santé mentale des enfants : 4 pistes pour en parler

La santé mentale des enfants souffre d’un mépris délétère. Pourtant l’heure est grave. Près de 49 % des enfants sont en situation de stress chronique et 27 % ont déjà été chahuté.e.s par des pensées suicidaires.

Mais parler de santé mentale à ses enfants n’est pas aussi limpide que d’appliquer du mercurochrome sur un genou estropié. Pour ouvrir le dialogue en douceur et libérer l’enfant de ses émotions « parasites », voici 4 méthodes « béquilles » sur lesquelles s’appuyer.

1 – La méthode du volcan émotionnel

La méthode du volcan repose sur une métaphore qui illustre brillamment le caractère explosif des sentiments mal digérés et prisonniers du silence. C’est une technique de visualisation qui se traduit communément dans un dessin à colorier ou à remplir. Elle suggère que les émotions « refoulées » sont comme un volcan. Lorsqu’on ne les exprime pas, elles s’entassent jusqu’à l’éruption brutale et font beaucoup de dégâts sur leur chemin.

Pas question de donner un cours de géologie simplement d’expliquer à l’enfant que, lui aussi, possède son volcan intérieur et qu’il peut parfois être bouillonnant. C’est une façon de mesurer son degré de mal-être tout en authentifiant ses émotions négatives. Le blog « papapositive » propose un exercice lumineux et engageant pour que l’enfant puisse coucher sa peine sur papier blanc.

2 – La métaphore du jardin

Puisque les enfants sont plus réceptif.ve.s aux images qu’aux paroles, la métaphore du jardin est une autre tactique détournée pour parler de santé mentale avec poésie. C’est Aude Caria, directrice de Psycom, organisme national d’information sur la santé mentale et de lutte contre la stigmatisation, qui a développé ce concept à travers un kit pédagogique.

Il s’agit d’une histoire qui compare la santé mentale à un jardin intérieur. Ce jardin se métamorphose en fonction des saisons et se fait parfois envahir par de mauvaises herbes ou des insectes. La métaphore du jardin explique que la santé mentale n’est pas une valeur constante. Elle traverse vents et tempêtes puis revient au calme et ainsi de suite. Ces planches illustrées dédramatisent le sujet avec un côté ludique qui implique directement l’enfant.

3 – La technique du « shadow journal »

Les enfants ont tou.te.s un journal intime où iels gribouillent leur trépidante vie scolaire, leurs petits béguins et leurs états d’âme. Si, en apparence, cette habitude semble relever de la « mignonnerie », en fait, elle est tout sauf superficielle. Selon le centre médical de l’université de Rochester, écrire les événements blessants ou réjouissants noir sur blanc peut réduire le stress et aider à mieux gérer l’anxiété et la dépression.

L’écriture a un fort pouvoir cathartique. Les émotions se pressent sous les stylos Diddle ou Disney comme si aucune barrière n’existait. Le concept du « shadow journal », lui, propose aux enfants de lâcher l’encre sur leur part d’ombre.

Relent de haine dans la cour de récré, colère, mélancolie, tristesse, honte, impression d’infériorité… tous ces « sentiments coupables » ont leur place entre les lignes. Ce journal de bord émotionnel permet aux enfants de comprendre que tous les ressentis sont permis, même les plus inavouables.

4 – S’aider de supports pédagogiques

Pour aborder la santé mentale avec ses enfants sans se perdre dans des définitions brouillonnes, les supports pédagogiques servent de « lampe torche ». Les cahiers d’activités Filliozat sont particulièrement évocateurs. Ils arborent les émotions sous l’angle du jeu didactique. Au fil des pages, l’enfant se frotte à des questions à réponses multiples qui l’encouragent à s’ausculter de l’intérieur.

Ces cahiers, déclinés en série d’arcades visuelles éclairantes, permettent à l’enfant de mieux identifier ses ressentis et de mieux les accepter. Les films d’animation peuvent aussi inciter à briser la glace. Ainsi, « le mystère de la chambre secrète » esquisse le parcours onirique d’une fillette de 10 ans dans le paysage émotionnel de la dépression de sa mère.

Parler de santé mentale avec son enfant est aussi important que de lui apprendre à compter ou à écrire l’alphabet. Contrairement à ce que les croyances prétendent, le tendre âge est loin d’être un long fleuve tranquille. Entre décès, divorces, pression scolaire, harcèlement… les enfants ont de quoi saturer. En juin 2022, la Défenseuse des Droits demandait d’ailleurs un plan d’urgence pour la santé mentale des jeunes. Le mutisme du gouvernement renvoie la balle dans le camp des parents.

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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