« À 13 ans tous mes cheveux sont tombés » : atteinte d’alopécie, Pauline met les tabous en sourdine

Un visage angélique, un regard teinté d’optimisme et un mental d’acier… Du haut de ses 19 ans, Pauline pose fièrement devant l’objectif pour donner de la voix à son combat. À l’âge de 13 ans, le quotidien de cette pétillante jeune femme vire au drame. Ses cheveux tombent par poignées et son crâne se dégarnit au fil des semaines. L’alopécie s’impose, Pauline, impuissante, assiste à sa propre métamorphose. Dans la jungle scolaire, elle fait face au harcèlement et subit un véritable calvaire. Dissimulée derrière une perruque ou sous un bonnet, elle dénigre alors son reflet. Durant quatre années, Pauline a l’impression d’être amputée de sa liberté.

Saturée, elle décide de hurler. En 2019, l’heure de la revanche a sonné. Pauline se lance dans une aventure virtuelle trépidante en créant le compte Instagram @paulinealopecia. Porte-drapeau de l’alopécie, elle brandit la flamme de la bienveillance et de l’acceptation de ses différences. Aujourd’hui plus de 10 000 internautes suivent son parcours florissant. De fil en aiguille, cette particularité physique est devenue un emblème atypique. Rencontre. 

L’alopécie, sa meilleure ennemie

La France semble totalement désintéressée du sujet. Les seules brèves études menées par les Instituts de sondage remontent à 2015. Dans l’Hexagone 16 % des femmes et 50 % des hommes sont touché·e·s de plein fouet par l’alopécie. Au cœur de la sphère publique, les crinières épaisses et soyeuses trônent en maître. Publicités, réseaux sociaux, médias érigent les cheveux en symbole de féminité et de beauté. Un discours pesant et extrêmement stigmatisant pour Pauline. Elle ne trouve pas de modèle auquel se rattacher, elle pense être un ovni égaré. Pendant un temps, cette maladie auto-immune a effacé son sourire radieux.

Face aux regards méprisants de ses camarades, la valeureuse guerrière se forge une armure et tente de se protéger des discours dégradants. Sa pelade apparente lui vole son insouciance et l’enferme dans une bulle étouffante. Emportée par la vague du désespoir, elle ne cesse de broyer du noir. Marquée au fer rouge par ces coups moraux, cette haine ambiante et ces expériences traumatisantes, l’amazone des temps modernes puise dans ses dernières ressources. Armée d’une force légendaire, Pauline devient plus aguerrie et se raccroche au précieux rocher de la vie.

Poser des mots pour apaiser les maux

Après avoir sombré dans les flammes d’un enfer à ciel ouvert, elle se pare de courage et dit adieu à cette routine amère. À l’orée de ses 17 ans, cette déesse pleine d’humanisme renaît de ses cendres tel un phoenix. Elle déploie les ailes de la tolérance et révèle au grand jour cette histoire jusqu’alors confidentielle. Derrière le pseudonyme évocateur @paulinealopecia, elle se met à nu et lève le voile sur son alopécie. À travers ses descriptions puissantes et sa plume aussi douce que piquante, elle gomme les paroles médisantes.

The Body Optimist : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Pauline Chiron : « Je m’appelle Pauline, j’ai 19 ans, je suis étudiante en école de design à Rennes, en classe prépa. J’ai été diagnostiquée d’une alopécie à l’âge de 7 ans. »

À l’âge de 7 ans, on vous annonce donc que vous êtes atteinte d’alopécie, pouvez-vous nous en dire plus sur cette maladie ?

« L’alopécie c’est une maladie auto-immune qui attaque la pilosité corporelle, ce n’est pas grave pour la santé, mais psychologiquement c’est compliqué. Ce n’est pas très connu en France et pour le moment, très peu de recherches ont été publiées. Ça concernerait entre 60 000 et 120 000 personnes en France. »

Comment est-ce que l’alopécie s’est développée au fil des années ? Est-ce que ça a été brutal, ou au contraire progressif ?

« Un matin, je me suis coiffée, comme d’habitude, et je me suis aperçue que j’avais des petites plaques sans cheveux à l’arrière du crâne. Quand j’ai vu ça j’ai paniqué. C’est aux alentours de mes 13 ans que tout a basculé. En l’espace de deux semaines, j’ai tout perdu. Au moindre coup de vent, mes cheveux tombaient par poignées. Ça a été un vrai choc parce que personne ne m’avait prévenu que ça pouvait arriver.

Quand j’ai perdu tous mes cheveux, j’avais peur de me regarder dans un miroir, c’était terrorisant. Au quotidien on me le rappelait aussi. Les « bonjour jeune homme » j’en ai eu un tas. J’avais l’impression d’être la seule femme chauve, je n’avais pas de modèles auxquels me rattacher, donc c’était très dur de l’assumer. »

Très jeune, vous avez consulté plusieurs spécialistes, est-ce qu’il·elle·s ont su expliquer les causes de votre alopécie ? Est-ce que l’on vous a suggéré des traitements ?

« Beaucoup de médecins disent que c’est dû à un choc émotionnel ou au stress. En termes de traitements, j’ai préféré ne pas en prendre, puisqu’ils sont souvent lourds et ils ne garantissent pas une repousse à 100 %. J’ai entendu parler d’injections de cortisone, mais ce n’est pas pour moi. »

On le sait, l’adolescence est une période charnière difficile à aborder. Comment l’avez-vous vécu ? Est-ce que vous avez souffert du regard des autres ?

« Ça a été très violent et j’avais ce besoin de me cacher, alors au début je mettais un bonnet. Je me souviens encore m’asseoir en boule près des casiers avec mes copines autour, je me faisais toute petite. J’étais un peu la bête de foire, il y avait plein de rumeurs qui circulaient. Mes camarades disaient que j’avais un cancer, que j’étais contagieuse, que j’allais mourir… C’était insoutenable.

Les plus grands s’amusaient à m’arracher mon bonnet, je me sentais toute nue et totalement désarmée dans ce genre de situation. On me disait que je ne servais à rien, que j’étais inutile, on me lançait des « crânes d’œuf » ou des « Monsieur Propre » à longueur de journée. Je me sentais encore plus complexée et je me suis renfermée sur moi-même. Pendant deux ans j’ai vécu du harcèlement scolaire et je me suis construite sur ces remarques négatives. »

Quelles incidences ces moqueries ont-elles eu sur votre santé mentale ?

« On m’a volé cette petite Pauline qui souriait tout le temps et on m’a arraché cette espèce d’innocence. J’ai même été traversée par des idées noires. Je me suis bâtie une carapace et je gardais toute cette souffrance à l’intérieur de moi. »

Pour cacher votre particularité physique, en entrant au lycée vous avez décidé de porter une perruque. Est-ce que cet accessoire vous a aidé à vous sentir mieux ?

« Quand mes parents m’ont proposé d’aller dans une boutique spécialisée dans les perruques, j’étais un peu dubitative. Quand on a 13 ans, on voit cet accessoire comme quelque chose de sale, uniquement destiné aux personnes malades. Je me disais que j’allais ressembler à un clown et puis on ne m’a pas vraiment laissé le choix. À cette époque, c’était inenvisageable pour moi de sortir le crâne nu. Au début, elle m’a fait du bien, je me sentais cachée du regard des autres, mais c’était de la colère tous les matins.

En entrant au lycée, je me suis dit que ça allait être le moment idéal pour repartir de zéro. Cette fois, personne ne pouvait deviner que j’avais une alopécie. La perruque, c’était un peu mon bouclier de protection contre les insultes. Mais finalement ça ne faisait qu’empirer les choses. Je me mettais des barrières parce que j’avais peur qu’elle s’envole ou qu’elle tombe. C’était handicapant, je refusais les sorties à la fête foraine, les activités sportives… En fait j’étais comme emprisonnée alors que j’avais juste une envie c’était de crier. »

À quel moment avez-vous décidé de ne plus la porter ? Est-ce qu’un événement particulier vous a encouragé à sortir dans la rue au naturel ?

« C’est un voyage scolaire en Finlande qui a fait office de déclic. Ça a été un peu le point d’orgue du mal-être. On était dans une sorte d’auberge de jeunesse et c’était des douches communes. Pour la première fois, je devais laisser ma perruque de côté et m’afficher sans artifices, c’était vraiment l’enfer. J’avais tellement honte de mon visage, j’étais arrivée à saturation, je ne pouvais plus garder ce secret pour moi.

J’ai décidé d’en parler à ma prof d’anglais qui nous accompagnait et elle a été d’une bienveillance incroyable. Elle m’a pris sous son aile, elle m’a rassuré et ça m’a soulagé. Aujourd’hui cette expérience reste très symbolique. Quand je suis rentrée chez moi, je me suis longuement questionnée. Je me suis dit qu’il fallait que j’arrête de dissimuler ma vraie nature. J’avais enfin la possibilité de réécrire ma propre histoire. »

En mai 2019, vous décidez alors de créer le compte Instagram @paulinealopecia pour briser les tabous autour de l’alopécie. Comment avez-vous eu le déclic ?

« J’avais besoin de poser des mots sur ce qu’il s’était passé pour me libérer de ce poids. Instagram c’était le meilleur moyen de briser le silence. Alors sur un coup de tête, j’ai créé mon compte @paulinealopecia pour afficher tout ce que je réprimais depuis des années. Presque immédiatement, j’ai reçu une vague de messages positifs et encourageants. Au fil de mes publications, je me livrais un peu plus, je me montrais sans perruque et je pense que l’écriture a eu un effet thérapeutique. Je me sentais beaucoup plus libre. Ça m’a donné de la force. »

Recevez-vous encore des messages malveillants ? À l’inverse, qu’est-ce que les réseaux ont apporté de positif à votre vie quotidienne ?

« On dit souvent que les réseaux sont les plateformes de tous les dangers, qu’il n’y a que des gens malveillants. Pourtant, personnellement je vis plus de mauvaises phases dans la vie réelle que sur la toile. C’est rare qu’on m’envoie des messages insultants sur Instagram. L’espace public est tout aussi dangereux. Il y a encore un mois, j’allais faire des courses et pendant dix minutes, une dame était plantée devant moi, elle me fixait. Quand je lui ai demandé ce qu’il y avait, elle m’a dit « ce n’est pas très commun » en se frottant la tête. C’est fatiguant ce genre de remarque à force.

Instagram a été ma bouée de sauvetage, ça m’a permis de renouer avec moi-même, de retrouver le sourire et de comprendre qui j’étais. Sur le plan personnel et professionnel, ça m’a vraiment enrichi. Au-delà de ma maladie, j’ai des valeurs, des convictions et des engagements qui se sont construits par le biais de mon compte. Ça m’a ouvert des portes. Auparavant j’avais l’impression de mourir à petit feu et toutes ces rencontres que j’ai faites via Instagram m’ont permis de me relever. J’ai plus de hargne, plus de rage de vivre grâce à ça. »

Grâce à votre ténacité, vous avez gagné une grande visibilité. Vous avez participé à l’émission « Ça commence aujourd’hui », vous êtes devenue une « star locale » et vous enchainez les partenariats. Comment avez-vous appréhendé cette nouvelle vie ?

« Je pense que je ne réalise pas vraiment tout ce qu’il s’est passé jusqu’à maintenant. C’est un peu un conte de fées, je suis sur un petit nuage. Mais ce n’est pas évident de tout concilier. En général, j’essaye de ne pas me mettre de pression, tout ce que je souhaite c’est être authentique.

Au niveau des partenariats, je choisis des marques qui me correspondent et qui défendent des causes qui me tiennent à cœur. Le féminisme, les droits LGBT, l’écologie… j’ai envie, à mon échelle, de faire bouger les lignes. »

D’ailleurs, le 26 février dernier on vous voyait apparaître dans « Cités » une série entièrement diffusée sur TikTok. C’était une grande première pour vous. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette création ?

« C’était en plein pendant mes examens, psychologiquement parlant ce n’était pas la grande forme, et en voyant le script ça m’a fait sauter de joie. Je ne devais pas jouer un rôle, j’avais simplement à être moi-même. C’était l’occasion rêvée pour mettre la maladie à l’écran et de rendre beaucoup plus banale le fait d’être comédienne et chauve. La série met en avant des jeunes de tous horizons, elle valorise des personnes qui sortent des normes sociétaires. C’est une belle ode à la diversité. J’en garde des souvenirs extraordinaires. »

Comment arrivez-vous justement à jongler entre toutes ces activités ?

« Je suis vraiment dans l’instant présent, je ne planifie pas mes posts, je vis vraiment au jour le jour. Ça me fait de grosses journées parce que mes cours sont prenants, mais j’aime bien cette routine et ce contact permanent avec les autres.

Parfois il m’arrive de ne pas aller en classe parce que j’ai un rendez-vous avec une marque ou un média. Je dois rattraper les cours que j’ai loupés, j’y passe mes soirées, mais c’est palpitant comme rythme. »

Comment est-ce que vos camarades vous perçoivent aujourd’hui ?

« Maintenant je vis seule, j’ai quitté le cocon familial pour vivre à Rennes et faire mes études. Je voyais ça comme un nouveau départ. Dans mon école d’art, le physique est moins mis en avant. À la rentrée, personne n’était choqué par ma particularité. Ça m’a fait bizarre, mais c’était tellement rassurant, ça m’a fait du bien. Les mentalités commencent à évoluer, heureusement. »

Si vous deviez nous partager votre meilleur souvenir, lequel serait-il ? Dans le cadre de vos divers projets, est-ce qu’une rencontre vous a particulièrement marqué ?

« Je pense que c’est le témoignage que j’ai fait pour Period Studio, parce que c’était le premier projet de grande ampleur. C’était aussi la première fois que je sortais sans perruque dans Paris. C’est un peu cet événement qui a marqué un tournant dans mon combat.

Par rapport aux gens qui m’inspirent, il y en a des tonnes. La fondatrice de la marque Meuf Paris ou la créatrice du média LGBT Paint sont un peu des modèles. »

Est-ce que cette aventure vous a ouvert les yeux sur l’alopécie ?

« C’est une condition à laquelle on doit s’adapter. Si parfois ça me met à terre, je me dis que sans cette distinction physique je n’aurais peut-être pas eu ce parcours si incroyable ».

Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui se battent aussi contre l’alopécie ou une autre maladie ?

« Les étapes rudes que l’on traverse sont vraiment accablantes, mais ce sont elles qui nous forgent et nous font évoluer. Je pense qu’il faut toujours s’accrocher, prendre conscience que la vie est précieuse et qu’elle ne vaut pas le coup d’être gâchée. Il faut persévérer. Tous les obstacles qui se mettent en travers de nos chemins ont souvent un sens caché. Ils ne sont pas là par hasard et il faut se battre. Ça permet de relativiser, de porter un regard plus ouvert et décomplexé sur le monde qui nous entoure ».

Pour finir, est-ce que vous entendez développer votre engagement au-delà de la toile ?

« Dans l’idéal, j’adorerais créer une association pour sensibiliser toutes les générations à l’alopécie, mais aussi casser les tabous et autres injonctions. J’aimerais beaucoup écrire un livre aussi ».

Merci à Pauline, source d’inspiration et véritable âme combattive, d’avoir répondu à nos questions autour de son histoire sur l’alopécie ! Vous pouvez suivre ses aventures au-delà de notre article, sur son compte Instagram : Paulinealopecia. Vous pouvez également voir et revoir son passage dans l’émission « Ça commence aujourd’hui ».

Émilie Laurent
Émilie Laurent
Dompteuse de mots, je jongle avec les figures de style et j’apprivoise l’art des punchlines féministes au quotidien. Au détour de mes articles, ma plume un brin romanesque vous réserve des surprises de haut vol. Je me complais à démêler des sujets de fond, à la manière d’une Sherlock des temps modernes. Minorité de genre, égalité des sexes, diversité corporelle… Journaliste funambule, je saute la tête la première vers des thèmes qui enflamment les débats. Boulimique du travail, mon clavier est souvent mis à rude épreuve.
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